Psycho-Philo

Je rate donc je réussis. Pour le droit de se tromper!

« J’ai le droit de me tromper…. ».  Cette phrase, affichée en grand sur le mur d’une salle de maternelle, en dit long. Et, telles les maximes de philosophes, 4 heures ne suffiraient pas pour en faire le tour. Prenons tout de même un bon quart d’heure.
 

 


A l’heure où tout nous pousse à la performance, à la réussite sous peine de… (Sous peine de quoi d’ailleurs ? on se le demande), il est temps de restaurer la fonction de l’échec, de redorer son blason. Ainsi Socrate disait déjà (je vous rappelle que Socrate, c’était il y a 2500 ans) :
« La chute n’est pas un échec. L’échec c’est de rester là où on est tombé. » 
L’heure est, actuellement, à la réussite. Réussir sa vie, son mariage, son intégration…etc. Mais qu’est-ce que réussir si ce n’est tenter des choses, les rater pour ensuite retenter pour enfin trouver.
Je retrouve souvent cette problématique au sein de mes consultations. Ceci va de la personne en burnout d’avoir trop voulu réussir au travail, à l’ado en proie à des crises d’angoisse à l’heure de faire ses choix professionnels, de l’écolier pétrifié par la peur d’échouer ou encore à l’amoureux qui, par peur de se tromper, ne tente aucune rencontre.
Toutes ces personnes ont en commun la peur d’échouer (donc l’envie de réussir du premier coup). Ils ont quelque part en commun cette pensée:
 
« Je ne tente rien donc je n’échoue pas »
 
Exemple.
Paul à 30 ans et sent la pression qui le gagne à l’heure de passer dans la trentaine. L’horloge biologique? Oui/Non, plutôt la pression sociale qui dicte le fait qu’à 30 ans on doit être marié. Oui, Paul est célibataire et ce depuis de longues années. Sauf que pour lui échouer n’est pas possible. Il veut rencontrer l’amour de sa vie et si au bout de quelques jours cela ne colle pas, il met fin à la relation. Ne surtout pas échouer est plus important pour lui que de trouver l’amour. Mais qui a trouvé l’amour du premier coup?
Je milite donc pour une révision des droits de l’Homme et du citoyen , ou pour ajouter un 11ème commandement:
 
« Les Hommes naissent libres et égaux
en droit de rater »

Tout citoyen à le droit et même le devoir de rater, d’échouer ce qu’il entreprend. Le devoir étant, pour chacun, de faire de son mieux.

 
 

J’ÉCHOUE DONC JE RÉUSSIS

 
 
 
 
Le problème posé par l’exemple précédent est que ce mode fonctionne en 1 ou 0, il n’y a pas de demi-échec ou demi-réussite. Or plus je tente et plus mon pourcentage de réussite augmente, non?
Nous oublions ainsi souvent que réussir c’est passer par un certains nombre d’échecs qui, chacun à leur tours, nous apprennent un peu plus sur ce qu’il faut faire pour arriver à nos fins. Ceci s’appelle l’apprentissage par essais/erreurs. Tel l’enfant qui, sur un tapis d’éveil, essaye par divers moyens de reproduire un son entendu. Il tire, pousse, tourne ce bouton à droite pour enfin arriver (et retenir) que c’est en tournant vers la gauche le son se produit:
  
5 essais- 4 erreurs- 1 réussite.
 
 
A force de vouloir réussir on finit par échouer, vraiment. C’est-à-dire rester sur place à ruminer cet échec.
Que l’on le veuille ou non ce sont nos échecs qui nous apprennent à réussir.
Pour preuve une expérience a été réalisée. Deux sauteurs en hauteurs ayant les mêmes capacités (sauter 2m20), ont bénéficié d’un entrainement afin d’augmenter leurs performances. Le premier est occidental et a appris le saut en hauteur au fur et à mesure de sa formation en école d’athlétisme. Le second est un aborigène australien qui n’a jamais appris et saute spontanément et à sa manière. Les résultats ont montré que seul l’occidental réussit à améliorer ses performances là où l’aborigène stagne. Ceci montre que seul l’occidental  apprend de ses échecs pour progresser là où l’australien n’ayant pas bénéficié d’apprentissage ne peut s’améliorer.

Comment savoir échouer pour apprendre?

La principale raison qui nous pousse à ne pas accepter l’échec, est que celui-ci s’accompagne souvent de sensations désagréables. Ainsi, on ne veut que la réussite qui, elle, nous apporte le bien être. Accepter de ressentir ses sensations désagréables peut au contraire nous permettre de comprendre pourquoi et comment on a échoué (donc d’apprendre). Par ailleurs, heureusement que l’échec est désagréable car cela nous pousse à réussir pour ne plus ressentir ces désagréments.
Le problème n’est pas d’échouer mais bel et bien ne pas agir!
Un autre raison est que parfois notre mode de penser nous conduit à agir d’une certaine manière.
Au cours de notre enfance, au cours de notre formation, il se peut que nous ayons tiré une certaine satisfaction de la réussite voire que celle-ci soit notre seule façon d’attirer l’attention ou bien d’obtenir de l’amour de notre entourage. Cette façon d’envisager la réussite devient une raison d’exister… une occasion d’être aimé. Ce type de fonctionnement se retrouve chez des personnes ayant parfois ce mode de penser:

Si j’échoue, on ne m’aime plus ; si je rate, je n’existe pas

Lorsqu’il est trop rigide ou bien qu’il s’applique à toutes les situations, ce mode de penser peut nous faire vivre une grande angoisse…existentielle.
C’est la cas de Jules.
Jules a 33 ans, doué, il a réussi une brillante carrière d’ingénieur et a toujours réussi ce qu’il a tenté, sans forcer. Doué pour les maths et les matières scientifiques son niveau lui a toujours permis d’obtenir de bonnes notes, sans travailler. Jules a toujours été valorisé au sein de la famille comme le modèle de réussite: réussir sans effort: la classe!. Sauf que depuis 3 mois Jules ne réussit plus. Lors d’un changement de direction, il se retrouve en concurrence avec de jeunes diplômés au fait des nouvelles technologies. Sauf que ces technologies, ce n’est pas « sa génération ». Jules doit donc apprendre. Or, il entreprend cet apprentissage tel à qu’il l’a toujours envisagé, c’est à dire réussir du premier coup sans effort. C’est là que le bas blesse, car Jules n’y arrive pas, n’y arrive plus. Il ne peut accepter ces échecs qui brisent son image cristalline, son piédestal. Jules ne réussit plus donc n’existe plus, pense-t-il. Le travail psychothérapeutique, pour cet homme empêtré dans des ables mouvants, va être d’accepter d’échouer, d’accepter ses angoisses, pour à la fois apprendre mais aussi constater qu’on l’aime toujours autant.
Accepter d’échouer et accepter que l’autre échoue peut alors permettre la réussite. Vous l’aurez compris, le problème n’est pas tant de ne pas vouloir rater, mais bel et bien quand cette attitude est rigide, inflexible. Lorsque la peur paralyse l’agir.

La peur nuit à l’action.

A trop vouloir réussir, on se met en échec de surcroit lorsque l’on y associe son existence ou le fait d’être aimé. Cette peur d’échouer peut alors faire appel à une des peurs les plus intenses chez l’enfant: la peur de l’abandon. Ne plus être aimé est quelque part lié au fait de ne plus exister et donc de se sentir abandonné, angoisse multimillénaire chez l’Homme.

En effet, la criminalisation de l’échec nous plonge bien dans une peur. Or, qui peut agir sereinement avec la peur ? Je vous fais grâce du fonctionnement du cerveau lorsque l’on a peur : trois possibilités, fuir, combattre, se figer. Allez réussir avec ça!

Ainsi, afin de déminer cette attitude, lorsque j’accueille une personne désireuse d’arrêter de fumer (qui veut donc absolument y arriver), je lui dis ceci :
« Quelqu’un qui arrête de fumer c’est quelqu’un qui rate 8 fois, celui qui échoue c’est celui qui n’accepte pas de ne pas y arriver dès la première tentative. Quelle personne choisissez-vous de devenir ? »
Envisager sereinement l’échec peut alors faire baisser cette pression et ainsi aborder l’action avec plus d’efficacité.

Faire de mon mieux?

Enfin, la fin de cette phrase lue dans cette école « …. Mais je dois faire de mon mieux ».
L’idée est alors bien là : faire ce que l’on peut, avec ce que l’on a. Ceci invite alors à savoir qui l’on est et ce pourquoi l’on est fait.
Effectivement, si je n’y arrive pas peut-être ne suis-je pas fait pour cela (voyez-vous Teddy Riner, 2m04, 130kg, au ping-pong ? ). Ainsi, tout comme nous sommes physiquement faits pour un sport, nous sommes psychologiquement faits pour certaines tâches.
Le fameux « Connais toi toi-même », une fois de plus de Socrate, prend ici tout son sens.

Nous devons aussi nous poser la question de nos attentes.

Effectivement, si nous ne réussissons pas, c’est peut-être que la barre était trop haute. Vouloir sauter 6m44 au saut à la perche alors que le record du monde est à 6m14 est une attitude répandue. A la fois pour nous-même mais aussi dans nos attentes vis à vis de nos enfants. La pression à la lecture, l’écriture, le savoir, sinon ? ben sinon « il ne fera rien de sa vie » (encore une pensée tout ou rien).
On pourrait aussi se dire que ben… justement s’il rate, c’est qu’il est peut-être en train de réussir sa vie, de la vivre : contrairement à ce que notre tête veut bien nous raconter.
Nous en arrivons alors à la différence entre l’efficacité et l’efficience parfois évoquée dans ce blog. L’efficacité est le résultat d’une action, son produit. L’efficience est, elle, le résultat en fonction des ressources mises en jeu, donc en fonction de mes possibilités. Ainsi , plutôt que de regarder uniquement la performance, les notes, le chiffre d’affaire, si l’on regardait le résultat en fonction de nos possibilités de même pour nos enfants. Pour certains, avoir 14/20 peut être une meilleure note que pour d’autres, selon les capacités qu’ils ont. Accepter ses capacités c’est aussi accepter ses limites, sur le moment, pour mieux les repousser jour après jour, essai après essai.
A méditer….

Un petit exercice pour apprendre?

Et si à chaque échec nous nous posions ces simples questions :
Qu’est-ce que cette erreur peut bien (ou lui, notre enfant) m’apprendre ? A quoi va-t-elle  me (lui) servir ?

Si je rate j’apprends quoi?

Si je rate je risque quoi?

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Facile à dire me direz-vous, et je vous le concède car lorsque l’on souffre de cette peur il est parfois nécessaire de se faire aider pour prendre de la distance et comprendre pourquoi nous fonctionnons ainsi.
Mais rien n’empêche d’essayer!
Je terminerai ce petit post par cette magnifique planche des Shadoks tirée du calendrier perpétuel des éditions chêne (ô combien philosophes).
 
 
 

 


En attendant je vous souhaite de passer une belle année !

Yannick

Psychologue aux multiples influences je base ma pratique de prise en soin sur la thérapie d'acceptation et d’engagement, la psychologie positive ainsi que les thérapies cognitivo-comportementales. En institution, en cabinet de ville, en formation professionnelle ou encore en tant que Blogueur ma vision de la personne en souffrance est bien celle d'une personne non pas "malade" mais plutôt "coincée": En devenir. C'est ainsi à travers une pratique mêlant psychologie, philosophie, humour et métaphores que je voue mon activité professionnelle à aider la personne à avancer vers ce qui compte pour elle.

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