Psycho-Philo

Dépasser la peur de ne pas y arriver avec Sisyphe

Bonjour à tous,

En ce début d’année, il est de tradition de souhaiter les vœux mais aussi de se résoudre, ou pas, à engager le changement. Ô résolutions, résolutions chéries.

Or, pour certains, changer c’est aussi se confronter à ses peurs et à ses échecs passés. C’est aussi se confronter au sens de la vie, à ses pensées « à quoi bon» et autres « je n’y arriverai jamais ».

J’aimerais bien mais j’peux point

Ainsi, si vous avez l’impression de ne pas y arriver, le sentiment que vous n’y arriverez jamais ou bien même si cette vieille pensée  » à quoi ça sert » vous taraude, cet article est écrit pour vous. 

Cette lutte et cette impuissance sont si bien illustrées par le personnage de Sisyphe, ce héros condamné à pousser une boule qui, sans cesse, retombe du haut d’une montagne, que nous pourrions nous inspirer de ce mythe pour échapper à cet éternel recommencement, ce sempiternel sentiment : L’impression de ne jamais y arriver.

Et si nous imaginions Sisyphe heureux, justement de ne pas y arriver ? Et si nous changions notre regard sur cette fatalité et sortions, un peu, de cette tyrannie de la réussite et du changement permanent ? Contre toutes attentes, Sisyphe est bien l’antidote au pessimisme et à la peur de l’échec ! Une aide au changement !

En route, et pour commencer, qui est donc Sisyphe? 

Imaginer Sisyphe

Sisyphe, fils d’Eole est cet homme châtié, condamné à pousser une pierre au sommet d’une montagne, d’où elle finit par retomber. Inlassable impuissance, insupportable souffrance. Et pourtant.

Et pourtant,  il la pousse cette boule. Presque arrivé au sommet, son cœur se prend soudain d’un bref espoir, lui donnant la force de franchir ces quelques centimètres. Il y est, il le sent, le bonheur, le but de toute une vie est à portée de main… il touche presque au but quand soudain… « C’est le drame ». La boule lui échappe et retombe en bas. Tout est refaire. Encore et encore c’est la même chanson, la même punition.

Imaginons, un instant, ce Sisyphe, redescendant après cet échec cuisant, l’ego blessé, le corps anéanti. Pire que la mort, Sisyphe est condamné à ne jamais « y arriver ». Absurdité de la vie à courir après un bonheur qui, sans cesse, joue les porte-malheur.

A quoi bon, puisque c’est la même chanson, la même funèbre oraison : Je n’y arriverai jamais.

Peur de ne pas y arriver ; peur de l'échec

Imaginer Sisyphe au bout et à bout de son bonheur 

Et si nous imaginions Sisyphe arrivé au bout de sa quête?  Serait-ce une si bonne nouvelle ?

Finis les tracas du quotidien, finies les corvées, fini de pousser sa boule. Imaginons, Sisyphe, assis en haut de sa montagne, contemplant le paysage, savourant son bonheur d’être arrivé. Heureux? Humm, attendons avant de statuer.

En effet, je vous ai parlé dans un précédent article (Mettre du Rock’n Roll dans sa vie) du bonheur de posséder un havre de paix : un étang des Dombes. Paisible, calme, sans accro. Une heure? Magnifique, bucolique. Deux jours? Ressourçant, apaisant. Deux semaines? Déconnectant, zenifiant. Deux mois?

Refuser les accros de la vie, ses contrariétés, c’est l’appauvrir, la stériliser, un peu comme dans les livres de science fiction tel  « Le meilleur des mondes » d’Aldous Huxley ou personne ne meurt où il n’y a plus de maladie. Que se passe-t-il lorsque plus rien ne se passe? La tyrannie du bonheur et son chef suprême le zen.

Sans sa boule et sans sa montagne, tout comme dans la situation précédente, Sisyphe court à la dépression… et chez le psy… oui bien, faut bien que les psy bossent, on a une famille à nourrir.

Plus encore, lorsque plus rien ne se passe sans accro cela revient à atteindre ce que les bouddhistes appellent le Nirvana. Il est alors intéressant de définir ce vers quoi nous aurions tous tendance à agir. Le Nirvana est la disparition de toutes souffrances, toutes douleurs – ce que le philosophe antique Épicure appelle également l’Ataraxie (le bonheur comme absence de douleur). Mais, le nirvana implique alors l’absence de désir, de plaisir. Y êtes-vous vraiment prêt.e?

Plus de boule, plus de montagne, plus de vie.

peur de ne pas y arriver - eolepsy

Ainsi nous sommes coincés entre deux chaises. Immobilisés entre l’insoutenable fatalité d’une lutte pour « y arriver » et un océan de vide si nous y arrivons. Que nous reste-il? La voie du milieu, fromage et dessert.

Imaginer Sisyphe heureux

Et si l’on imaginait Sisyphe heureux, si on songeait un instant que Sisyphe puisse sortir vainqueur de cette damnation. En reprenant notamment cette pensée d’Albert Camus dans son texte éponyme (le mythe de Sisyphe) et en la mariant à celle de Friedrich Nietzsche, explorons comment nous pourrions vaincre ce sentiment de vide et ce sentiment d’impuissance qui nous tiraillent parfois.

Du bonheur de donner un sens à sa vie

Commençons par mon pote Albert. Dans Le Mythe de Sisyphe, Camus qualifie Sisyphe d’ultime héros absurde. Il y établit pourquoi la vie, malgré l’absurdité du destin, vaut la peine d’être vécue : « il n’est guère de passion sans lutte », « il faut imaginer Sisyphe heureux » dit Camus.

En effet, ce philosophe considère Sisyphe comme seul maître de son destin : « Son rocher est sa chose ». Ce qui tient l’Homme depuis des millions d’années est bien cette lutte dont Darwin dirait qu’elle est pour la vie « struggle for life ». Lorsque nous luttons contre les inégalités homme/femme, lorsque nous luttons pour améliorer notre quotidien, lorsque nous œuvrons pour un monde plus juste,  nous nous muons tels un Sisyphe qui trouve un sens à sa vie, un sens à sa quête de hauteurs.

La boule n’est pas de cristal mais elle indique l’avenir. La Voie

En thérapie d’acceptation et d’engagement (pour en savoir plus lire ceci Qu’est-ce que l’ACT) , nous dirions que derrière chacune de nos actions, il y a des valeurs (là aussi lisez ceci sur les valeurs, éclaircir ses directions de vie) , des choses importantes pour nous. Aucune action n’est dénuée de sens. Sortir les poubelles c’est faire preuve d’hygiène, faire faire les devoirs à nos gamins un dimanche soir c’est faire preuve d’attention, de concentration, de persévérance. Se lever le matin alors que la dépression nous raconte que cela n’en vaut pas la peine, c’est faire preuve de courage.

Le bonheur c’est ainsi sans cesse faire preuve de ces qualités, s’en rapprocher sans jamais les atteindre sous peine de ne plus savoir quoi faire ensuite. Pousser cette boule, c’est aussi se savoir conscients que nous la poussons, là, dans l’instant présent le seul lieu du contrôle. C’est aussi ce que soutient Camus lorsqu’il dit que le bonheur revient à vivre sa vie tout en étant conscient de son absurdité, car la conscience nous permet de maîtriser davantage notre existence.

« Cet univers désormais sans maître ne lui paraît ni stérile, ni fertile. Chacun des grains de cette pierre, chaque éclat minéral de cette montagne pleine de nuit, à lui seul, forme un monde. La lutte elle-même vers les sommets suffit à remplir un cœur d’homme. Il faut imaginer Sisyphe heureux. »

Le secret est ainsi d’abandonner l’idée d’arriver mais de chérir et choisir le bonheur de cheminer.

Du bonheur d’apprendre.

En mariant donc Nietzsche et Camus nous pourrions maintenant prendre la conscience Camusienne de l’absurdité de la vie et celle du Surhomme Nietzschéen. Ce qui ne le tue pas le rend plus fort. En effet, le Surhomme est celui qui, conscient, petit à petit, s’élève, comme on grimpe à la cime d’un arbre et voit la vie d’un autre angle. Les événements de la vie, les baffes que l’on prend autant que les petites choses constituent des expériences.

Nous sommes assis en permanence sur les 500 millions d’années d’expériences de nos ancêtres, ces milliards de journées vécues et revécues à tendre vers ce souverain bien, ce bonheur sans cesse visé, toujours espéré, jamais atteint.  La sagesse. 

Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort, ce que l’on apprend nous élève.

Chaque journée, chaque événement qui revient, chaque échec seraient ainsi des occasions point une fatalité. En effet, cette conscience nous permet de jouer les choses chaque fois d’une manière différente.

C’est la même chanson,

jamais le même tempo.

La tyrannie de la partition,

Fait place à l’interprétation.

Chaque fois, notre corps fait face à de multiples problèmes qu’il se doit de résoudre. C’est de cette manière que nous sommes devenus ce que nous sommes, des Êtres élevés à force d’adaptation perpétuelle et de recherche de solutions (je vous l’accorde il y a encore du boulot).

Et qu’est-ce que l’adaptation au fond si ce n’est apprendre! Sans cesse refaire les mêmes choses toute en les refaisant d’une manière différente. Effectivement, selon Héraclite, on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve. Sisyphe ne pousse donc jamais deux fois cette boule de la même manière.

Peur de ne pas y arriver ; peur de l'échec

 

 

Par exemple, l’homme cuisine depuis des milliers d’années. Pour chaque recette, chaque génération apporte sa différence. Chaque tentative nous rapproche un peu plus de nous-même et de cette recette du bonheur culinaire. Heureusement donc, les goûts, les époques changent et il nous faut alors nous réinventer, nous remettre en question et repousser encore un peu plus cette boule vers des hauteurs sans fin. Sky is the limit?

 

Pour aller plus loin vous pouvez aussi lire cet article Puisque je rate, je réussis

La vie, selon ce point de vue, serait alors comme s’attaquer à une tablette de chocolat. Chaque fois que l’on croque un carré, on croque un peu de cette vie. Ces échecs et réussites sont des tentatives que nous digérons et nous en faisons une énergie ainsi qu’un constituant de notre corps, de notre esprit.

Chaque fois se remettre à l’ouvrage c’est se donner le plaisir de croquer dans cette tablette dont on sait qu’elle aura une vie après la vie puisque, en transmettant notre expérience, d’autres poursuivront l’œuvre.

Sisyphe peut être heureux car sa boule de vie a de multiples facettes pour en faire une fête.

Un seul conseil pour cette année, poussez fort et donnez vous le bonheur d’apprendre, pas forcément celui de réussir.

 Yannick

 

Psychologue aux multiples influences je base ma pratique de prise en soin sur la thérapie d'acceptation et d’engagement, la psychologie positive ainsi que les thérapies cognitivo-comportementales. En institution, en cabinet de ville, en formation professionnelle ou encore en tant que Blogueur ma vision de la personne en souffrance est bien celle d'une personne non pas "malade" mais plutôt "coincée": En devenir. C'est ainsi à travers une pratique mêlant psychologie, philosophie, humour et métaphores que je voue mon activité professionnelle à aider la personne à avancer vers ce qui compte pour elle.