Poursuivons notre voyage entre psychologie et liberté
N’est-ce pas paradoxal qu’une personne ait besoin de dépendre d’une autre – en l’occurrence un psychologue – pour être libre et autonome ? Tel est le paradoxe de la psychothérapie, tels en sont également les dangers. Car derrière les espérances d’une saine influence peut se cacher une dépendance.
Principalement parce que le patient peut se rendre dépendant d’un thérapeute, qui l’écoute lui fait du bien. C’est ainsi ce qui peut arriver lorsque l’on va voir son psy pour qu’il nous donne les bonnes réponses. Comment vivre, comment travailler, comment élever nos enfants, comment faire l’amour !
Oracle des temps modernes
Curieusement, et malgres ces orgies d’injonctions à vivre, la psychothérapie est avant tout une œuvre de liberté !
Explorons tout cela au cours de cet article et le concept de psychothérapie libertaire
En route pour la liberté !
Libertaire?
Libertaire est celui qui est partisan de la liberté absolue de l’individu. La liberté, elle, est « la possibilité d’agir selon ses propres choix » (petit Robert). Ainsi, si vous êtes habitués de ce blog les termes « agir selon ses propres choix » ne vous sont pas étrangers (pour les autres, j’en reparlerai plus tard).
Être Libertaire, c’est refuser tout autoritarisme, contrainte, hiérarchie opposée à notre liberté de choix. En psychologie ce serait refuser les ordres de nos angoisses, phobies et autres pensées toxiques.
Une psychothérapie libertaire est aussi pour moi un soin psychique (mais pas que) qui a pour but et devoir d’œuvrer à la liberté des deux protagonistes : le patient et le psychothérapeute.
Ces principes ainsi définis, observons de plus près leurs conséquences.
La liberté, en thérapie
La position entre le patient et le thérapeute est comme on le dit souvent « asymétrique », déséquilibrée. L’un souffre, l’autre non (en théorie). Effectivement, l’un parle, se découvre dans son intimité, l’autre écoute et dévoile peu de choses au fond. L’un paye, l’autre se fait payer. Ce déséquilibre ne peut pleinement favoriser une liberté de choix, de parole et d’action.
Une psychothérapie libertaire vise donc à équilibrer cette relation. Non pas que le psy doive raconter sa vie. La relation thérapeutique est alors un contrat entre deux parties. Un patient (client?) rémunère un professionnel pour l’aider à résoudre une problématique donnée. Alors, les TCC s’inscrivent totalement dans cette optique puisqu’un objectif est donné, tant en nombre de séances qu’en comportement à atteindre.
Un exemple:
Alexia consulte son thérapeute pour une phobie. Un contrat a été passé sur 10 séances. Une évaluation de sa phobie a été réalisée au début et sera réalisée à la fin (par un questionnaire d’évaluation des phobies). L’objectif principal d’Alexia est:
« Si je pouvais retourner faire mes achats de noël à la Part Dieu, cela changerait ma vie »
Ce but atteint, la thérapie s’arrêtera. En TCC c’est la patiente qui décide si elle continue ou pas. C’est également la patiente qui décide du rythme des séances. Lorsque je dis « décide », il est plus correct de dire que le thérapeute en discute avec la patiente, qui elle a le dernier mot.
Une autre façon de concevoir une thérapie qui libère, c’est la façon de travailler. Il n’y a pas de soignant et de soigné. En effet, en TCC il y a deux personnes qui travaillent ensemble pour résoudre un problème, c’est ce que l’on appelle de la co-thérapie, une alliance thérapeutique. La liberté se retrouve aussi dans la parole (tout ce que vous direz ne sera pas retenu contre vous ;-). Des deux protagonistes il n’y en a pas un seul qui parle.
Du côté du patient
Travailler à la liberté de la personne c’est ainsi travailler à ce que cette dernière se passe progressivement de la psychothérapie. C’est même une condition sinequanone. Ce travail sur soi aboutit donc au fait que la personne, au début très en demande, « s’autonomise » et arrive à vivre SANS ses séances de psychothérapie. Le psy s’efface donc au profit des qualités du patient. Le patient développe alors sa vie, se construit à partir des outils, des regards abordés avec son psy plutôt que de penser comme son psy ou de l’appeler systématiquement dès que cela va mal. Un peu comme nous invite Nietzsche à « penser à partir de moi, non comme moi ».
Une thérapie libertaire réussie est ainsi une thérapie qui permet à la personne de se développer de nouveau, d’investir ses valeurs, ses choix.
Un exemple:
Marc vient de finir sa thérapie concernant une anxiété sociale. Il n’a désormais plus peur de parler en public. Or ce week end, il doit prononcer un discours lors du mariage de son frère. Ce mariage est évidement important pour lui , il ne peut donc l’éviter. Son anxiété monte et lui ordonne de faire demi-tour (« tu vas te ridiculiser, rentre chez toi ») .
Ayant appris des techniques de pleine conscience, Marc identifie qu’il est anxieux mais qu’éviter ne correspondrait pas à agir comme il l’aimerait. Il a pu identifier cette pensée nocive et choisir de ne pas en tenir compte. Il choisit donc d’y aller et de préparer son discours car deux choses sont importantes plus que tout, aller au mariage de son frère et prononcer ce discours en son honneur, ceci malgré l’angoisse.
« Il m’est odieux de suivre autant que de guider. » Nietzsche, Le Gai Savoir
En TCC, le but est de permettre au patient de se libérer de ses pensées nocives, de les vivre différemment. L’objectif est de se résoudre à ne plus acheter ces vieux scénarii. Nous le verrons dans le chapitre sur l’ACT (Thérapie d’acceptation et d’engagement, voir plus loin) .
Du côté du psy
Le psy dépendant de son patient? L’argent et l’égo au centre des débats
L’ARGENT
L’incompétence peut être rentable. Le métier de profession libérale est épineux, payé pour soigner. Effectivement, plus on aide rapidement la personne à s’en sortir, moins elle consulte. Moins de personnes consultent, moins il y a de psy. Mettre la thérapie entre les mains du psy n’est pas si anodin que cela. La question de l’argent ,et donc des possibles séances supplémentaires, se résout en TCC par la notion de contrat précédemment abordé. Ce n’est pas le psy qui fixe la durée, c’est la progression et la validation de l’objectif qui commandent.
Le format et le contrat thérapeutique sont les garants de la liberté des deux « contractants »
Avoir un objectif, c’est pour le psy une forme de liberté. En effet, un psy peut vite devenir l’anxiolytique de son patient. Dès que quelque chose cloche, un rdv chez le psy, un mauvais rêve… un rdv. Sans réel but le psy peut se sentir pris en otage par son patient, une simple façon de gérer l’instant sans réelle perspective. Être libre, c’est travailler avec le patient, ce n’est pas être le seul.
L’EGO
Souvent lorsque l’on me dit « merci pour ce que vous avez fait pour moi » je pense à une phrase d’un de mes formateurs. Une thérapie réussie est une thérapie où le patient ne vous remercie pas car il pense que c’est grâce à lui qu’il s’en est sorti. Nous abordons donc ici le problème de l’ego. En effet, la reconnaissance du patient vis à vis de son thérapeute est un puissant « renforçateur » pour le psy. Un « renforçateur » agréable mais qui peut mettre cette conception libertaire à mal. En effet, travailler à ce que le patient s’autonomise, c’est travailler à ce que le patient se débrouille sans son psy. Bien sûr que nous travaillons pour nous entendre dire que l’on a fait du bon boulot. Malheureusement s’entendre dire que l’on est un thérapeute génial, c’est implicitement cautionner que le patient est bien grâce au psy. Pas très libertaire tout ça…
Ce qui est important ici c’est de l’accepter et de savoir le gérer sous peine de se regarder au détriment du patient !!
A ces remerciements je réponds souvent: pour faire du bon travail il faut un bon patient, un bon thérapeute et de bons outils….
Un psychothérapeute est un jardinier : Il ne fait pas pousser la plante, il y contribue.
LES VALEURS
Une des valeurs professionnelles chez les psy (donc une des miennes) est:
« permettre à mes patients d’avancer vers ce qui est important pour eux »
Pour revenir sur l’asymétrie, on peut dire que le relation est plus équilibrée qu’il n’y paraît. En effet, car même si cela peut paraitre alambiqué, lorsque mes patients m’apportent leur problème, ils me permettent d’avancer vers ma valeur et donc de me sentir plus proche de la personne que j’aimerais être. Il y a bien un échange d’intérêt. Si vous avancez, j’avance aussi (l’inverse n’est heureusement pas si vrai 😉
La liberté en ACT: la flexibilité
Les thérapies d’acceptation et d’engagement, troisième vague des TCC (si ces mots vous sont étrangers lisez d’abord l’article s’y référant ( Qu’est ce que l’ACT? ), est une psychothérapie entièrement tournée vers la liberté de choix : Effectivement, c’est la liberté de choisir d’avancer vers ce qui est important pour soi plutôt que de lutter pour ne pas ressentir, ne pas penser (l’évitement). Nous développons alors ce que nous appelons la flexibilité.
La flexibilité, c’est adopter une façon plus souple de vivre ses émotions, ses pensées négatives, ses sensations corporelles afin de garder le contrôle, le choix de faire ce que nous avons envie de faire. C’est ainsi choisir de ne pas manger pour combler un stress mais tolérer celui-ci pour peut-être aller jouer avec son fils. Ici il n’y a pas de mauvaise action, la liberté de choix est ce qui importe. Il n’y a rien de mal à manger de la glace lors d’un chagrin d’amour si en plus je le choisis !
Prenons un exemple:
Sylvie souffre d’anxiété. Chaque sensation corporelle lui fait peur. Chaque sursaut de sa respiration lui fait penser « ça y est, je vais refaire une attaque de panique ». Ainsi, pour ne pas penser à cela et pour ne pas ressentir ces désagréables sensations, Sylvie prend des médicaments, se réfugie dans son lit avec son ordinateur et lutte pour ne pas s’endormir par peur de retrouver ces pensées. Elle évite peu à peu de plus en plus les situations où elle pourrait ressentir ces sensations et peut être faire ses attaques de panique.
Les pensées prennent le pouvoir
Cette patiente est alors esclave de sa phobie, sa liberté est coincée. Le travail thérapeutique chez Sylvie visera à vivre différemment ses sensations, à les accepter, les laisser venir pour mieux les gérer et surtout lui permettre d’aller où elle veut. La pleine conscience lui apprendra qu’une pensée n’est pas un fait et qu’une sensation n’est pas une attaque de panique.
La psychologie libertaire est symbolisée ici par la possibilité de retrouver le choix. Il est nécessaire d’acquérir la perception que c’est nous qui sommes aux commandes, comme le dit si bien La Boetie: « soyez résolu de ne plus servir et vous voilà libre ». Pas si simple, je vous l’accorde.
La liberté, pour quoi faire?
Pour terminer cet exposé, j’aimerais écrire sur le fait que la liberté reste avant tout un moyen et non une fin. La liberté est une chose qui peut à elle seule nous faire plonger tellement elle peut être angoissante. Libre? Mais pour quoi faire?
Devenir qui je suis
En paraphrasant Pindare abordons la notion de développement personnel. En effet, pour moi, le développement personnel doit prendre le relais d’un travail thérapeutique.
La psychothérapie libertaire permet un décollage. Une personne qui « pense à partir » de sa thérapie va avancer vers ce qui important pour elle. Ainsi, l’énergie que nous mettons dans la lutte sert à présent nos projets, nos valeurs. Imaginez que vous mettiez l’énergie avec laquelle vous luttiez contre ce que vous n’êtes pas dans la construction d’une maison. Où en serait votre maison?
Arrêter de lutter, se libérer c’est justement choisir le support de cette énergie créatrice, et, pour citer Michel Foucault :
« Ce qui m’étonne, c’est le fait que dans notre société l’art est devenu quelque chose qui n’est en rapport qu’avec les objets et non pas avec les individus ou avec la vie (…). Mais la vie de tout individu ne pourrait-elle pas être une œuvre d’art ? Pourquoi une lampe ou une maison sont-ils des objets d’art et non pas notre vie ? »
Faire de sa vie une œuvre d’art
Exemple: Charles souffrait de dépression. Sensible, il pensait toujours à l’autre, sans se soucier de lui. Passif dans les relations, ses désirs n’étaient pas assouvis. Le travail thérapeutique lui a permis de gérer cette sensibilité et de s’affirmer. Ses relations sociales ont dès lors été plus fructueuses et satisfaisantes. Le travail sur les valeurs (comprendre ce qui compte pour lui dans divers domaines de la vie) a permis de faire naitre chez Charles une valeur fondamentale : celle qui le faisait souffrir et qui maintenant le porte, « aider les autres ». Charles est devenu infirmier et met sa sensibilité au service de ses patients.
Pour terminer, je citerai cette citation de Bakounine, philosophe libertaire, qui résume mon intérêt personnel pour la liberté en psychothérapie.
« La liberté d’autrui, loin d’être une limite ou la négation de ma liberté, en est au contraire la condition nécessaire et la confirmation. Je ne deviens libre vraiment que par la liberté d’autres, de sorte que plus nombreux sont les hommes libres qui m’entourent et plus profonde et plus large est leur liberté, et plus étendue, plus profonde et plus large devient ma liberté. »
A bientôt,
Yannick
Bibliographie:
-M.Foucault, Quarto Gallimard (1994/2001), A propos de la généalogie de l’éthique : aperçu du travail en cours, Dits et écrits, n°326, p.392
-Bakounine, Dieu et l’état