Psycho Savoirs

Quand la santé mentale rejoint la santé somatique : la psychothérapie basée sur les processus

Bonjour à tous,

J’aimerais vous présenter non pas une nouvelle psychothérapie mais, peut-être, une autre façon de la concevoir : la thérapie basée sur les processus. Ceci selon le dernier livre publié par Steve Hayes et ses collègue Stefan Hofman (Beyond the DSM).

Le problème en psychiatrie c’est que l’on met des gens dans des cases, on pose des diagnostics, et que bien souvent les cases ne correspondent pas réellement aux personnes. Autre problème en psychiatrie, c’est que la psychiatrie ne parle qu’à la psychiatrie, point aux autres spécialités somatiques pour qui, la psychiatrie ne leur parle pas. 

On se retrouve ainsi saucissonnés selon la spécialité médicale, perdus entre corps et esprit, etiquetés comme des produits prêts à être consommés dans une recette indigeste. 

Et si on enlevait les étiquettes ? et si on pensait le corps et l’esprit ensemble ?

La thérapie basée sur les processus est un modèle conçu comme une étagère dans laquelle ranger ces éléments d’une manière plus claire et plus lisible pour tout le monde et surtout nous permettre de relier santé mentale et santé somatique. Relier le corps et l’esprit par ce que l’on appelle l’approche processuelle.

Qu’est-ce qu’un processus alors ?

Un processus est un enchaînement ordonné de faits ou de phénomènes, répondant à un certain schéma et aboutissant à quelque chose. En somme c’est un événement que l’on est capable de relier à une théorie, qui est concret, progressif et dont on est aussi capable de prévoir l’évolution, de la mesurer et de comprendre les liens en fonction du contexte extérieur.

Commençons par un exemple en santé somatique:

L’entorse de cheville, la chose la plus commune. Lorsque nous nous tordons la cheville et qu’un petit ligament, situé sur l’intérieur, se déchire cela s’appelle une entorse. Il y a diverses lésions et donc divers processus à l’oeuvre que le médecin observe.

  • L’inflammation
  • La douleur
  • La souplesse (trop raide ou au contraire en hyperlaxité)
  • La force ou la faiblesse musculaire.

Tout ceci considéré en fonction et de la personne (taille, poids, sportive ou non) et du contexte (selon la compétition à venir, selon le travail..)

Le même soin pour tous ?

Bien qu’il puisse y avoir certains points communs entre les personnes souffrant d’entorse, aucun protocole préétabli donnant la même méthode pour tout le monde et en toute circonstance n’existe. On ne soigne pas l’entorse, on soigne les processus observés au moment où ils sont présents et dont on est capable de mesurer leur évolution. 

La personne n’est pas l’entorse

En santé somatique on a donc une analyse globale. Une raideur cervicale peut expliquer un problème d’équilibre et pour cette entorse la médecine somatique dispose d’une analyse globale. On est capable de relier la raideur musculaire avec la faiblesse et la causalité sur l’équilibre. C’est donc une thérapie processuelle.

 

Et la santé mentale ?

L’étiquette qui ne colle pas

Prenons le cas de la dépression et de ses diagnotics hasardeux. En effet la dépression est l’exemple type du diagnostic sur-utilisé en santé mentale. Dès que vous avez un coup de mou, que vous êtes fatigués. Dès que votre tête vous raconte des idées pas cool, on parle de dépression et on vous colle des antidépresseurs. Selon l’organisation mondiale de la santé, trop de personnes se retrouvent avec un mauvais diagnostic et des antidépresseurs à la clé. On vous colle une étiquette, or celle-ci ne colle bien souvent pas à la personne. Et pourtant…

La personne est le trouble

Pourtant, on dit alors que la personne est dépressive, on lui colle une étiquette, comme si nous disait « vous êtes entorsée ». Non la dépression ne nous résume pas, c’est la conséquence d’une obscure recette de magie noire ; un peu de repli, beaucoup de ruminations, quelques comportements d’évitement (alcool, alimentation), évitement des besoins fondamentaux (sommeil, repos). Une personne une recette.

 Il n’y a pas une dépression mais des chemins qui y mènent, des processus. Effectivement, plutôt que de parler de dépression parlons de mécanique dépressive qui conduit à un trouble. Le seul trouble ici est l’impossibilité d’avancer dans la vie, tout comme la santé somatique. 

Plutôt qu’un traitement pour un trouble, un traitement pour une personne, tout comme la santé somatique.

Alors qu’est-ce la psychothérapie basée sur les processus ?

Selon cette approche, plutôt que de donner des traitements et des protocoles « tout-faits » sans savoir pour quoi ni comment cela fonctionne, plutôt que de se centrer sur le contenu de notre vie, il y a se pencher sur notre façon de faire face à cette vie. C’est selon cette façon, se centrer sur les processus psychologiques responsables de la difficulté à avancer, la difficulté à s’adapter.

Oui le mot est important. Cette approche s’ancre directement sur une approche évolutionniste de la personne. Que ce soit en santé mentale ou en santé somatique l’important est de rendre à la personne la capacité à s’adapter au contexte :

Avancer dans sa vie.

Ceci rejoint la notion de handicap soit, selon le Larousse : une limitation d’activité ou restriction de la participation à la vie en société subie par une personne en raison d’une altération d’une fonction ou d’un trouble de santé invalidant. Tout comme le kinésithérapeute redonne au corps la capacité à marcher et tenir l’équilibre en mouvement, le psychologue redonne à la personne la capacité à gérer ses émotions ou encore ses pensées.

Des processus pour s’adapter à la vie.

Et, lorsque l’on parle d’adaptation, on pense à Charles Darwin. En effet, selon ce penseur de l’évolution des espèces, la survie d’un organisme dépend de son adaptation au milieu de vie. Et pour cela on peut scinder cette capacité d’adaptation en trois en trois mots : Variation – Sélection – Rétention.

Pourrait on alors considérer que la maladie puisse être la conséquence ou être révélatrice d’un problème d’adaptation ? Explication.

La variation

Accroitre la variation c’est donner à la personne un meilleur réservoir de solutions ou de compétences. Un peu comme si vous aviez plus d’outils dans votre caisse à outil pour faire face à un problème. En psychologie, ce serait plus de compétences émotionnelles, de savoirs faire (communication, prise en compte de ses besoins…). En santé somatique, ce serait apprendre à plier les genoux pour protéger son dos, donner de la souplesse à une cheville afin de lui donner plus de possibilité de mouvement.

La selection

Encore faut-il savoir utiliser la bonne compétence au bon moment et en fonction de la situation. C’est ce que Darwin appelle la capacité de sélection. En psychothérapie, comme en  santé somatique, on apprend à la personne à faire ce qu’il faut au moment où il le faut. Se relaxer lorsque cela est nécéssaire, agir lorsque la situation le demande et non l’inverse comme dans le dépression où l’on dort alors qu’il faudrait se lever et on se lève lorsqu’il faudrait dormir.

La rétention

Enfin, avoir plus d’outils c’est bien, savoir quand les utiliser c’est mieux, il nous reste à faire perdurer ces bonnes habitudes. Une seule solution, l’entrainement et la mémorisation des bonnes habitudes. Sans quoi, la rechute est assurée. Si j’arrête de m’étirer je prends le risque de me retordre la cheville, si je laisse le repli et la rumination reprendre le contrôle de ma vie, la dépression ne saurait être très loin. La rétention c’est pratiquer suffisamment pour que cela devienne un automatisme.

Alors ces processus ? 

Selon une revue de littérature internationale Hayes et ses collègues ont identifié 6 catégories de processus centraux qu’il conviendrait de travailler selon les trois principes Darwiniens cités précédemment : 

  • Processus émotionnels
  • Processus cognitifs (la gestion des pensées)
  • Processus attentionnels
  • Processus motivationnels
  • Processus comportementaux (mes savoirs faire)
  • Processus « sens de soi »

Santé mentale et santé somatique même approche. En effet, un kinésithérapeute évalue les processus détériorés et ceux sur lesquels il peut compter pour ensuite décider de sa thérapeutique. En santé mentale, on évalue ici la force et les faiblesses de ses six processus. La personne sait-elle gérer ses émotions ? A-t-elle des compétences comportementales sur lesquelles compter ? Le costume psychothérapeutique est ainsi taillé sur mesure. Autre avantage, de cette manière, on ne porte pas uniquement attention sur ce qui va mal vouant la personne à ne se voir uniquement selon cette sombre vision de soi – confortant souvent la vison pessimiste de soi.

Pas malades, coincés

Je suis nul.e ? Non, on porte aussi attention sur ce qui va aussi bien. Vous observerez que c’est une autre définition plus porteuse du trouble. Je ne suis plus un problème, je souffre d’un problème, pour lequel j’ai des compétences qui peuvent m’aider et des compétences qui me manquent.

Des exemples ?

Prenons les exemples de Paul et de Julie (personnages extrait de mon livre « Trouver son bonheur dans tête et dans son corps ») qui, tous deux souffrent de dépression. De surcroit, Paul est handicapé par d’importants problèmes de dos et Julie par un asthme conséquent. 

Paul 39 ans

D’un point de vue processus, Paul a une très bonne gestion émotionnelle qui lui permet de canaliser ses douleurs, il a une bonne motivation. En revanche, le sens de soi est impacté car son problème de dos lui renvoie l’idée d’être un homme faible (confondre l’être et la maladie). Les processus cognitifs  montrent également quelques faiblesses et sont représentés par des pensées désagréables auxquelles ils accrochent particulièrement. Le schéma suivant est purement métaphorique :

 

Julie 44 ans

 Julie, quant à elle, dispose de bonnes capacités attentionnelles et gère plutôt bien ses motivations (elle sait ce qui est important pour elle). En revanche, ses émotions lui posent problème, ce qui impacte la gestion de son asthme mais aussi l’épuise mentalement et la conduit à manquer d’énergie.

 

 

Tous deux sont épuisés tout deux ont des problèmes physiques sur lequel le psychologue et le kinésithérapeute pourront y remédier en se servant des faiblesses mais aussi de la force des processus cités précédemment. ils ne sont pas que problème, ils sont aussi solution.Le lien entre corps et esprit

Avec cette approche processuelle on pourrait tout à fait imaginer faire le diagnostic de tous les processus en jeux que ce soit les processus physiques (l’équilibre, la souplesse, la force) mais aussi les processus émotionnels, cognitifs et comportementaux. De cette manière ci, on observe la personne dans sa globalité. Quelqu’un qui a mal au dos n’aura pas le même soin s’il sait gérer ses émotions et son mode de penser. Savoir gérer la douleur et la peur de ne pas y arriver peut être terriblement utile pour affronter la reprise d’un travail physique. De même, quelqu’un qui est en dépression n’aura pas la même évolution s’il a une bonne souplesse ainsi qu’une bonne force musculaire lui permettant de faire de l’activité physique. Ce corps et cette force physique pouvant être un élément sur lequel l’esprit peut s’étayer.

Les processus corporels et mentaux sont ainsi envisagés conjointement. Peu importe le trouble, une entorse ou une dépression, le corps et l’esprit à nouveau reliés, on parle de santé sans distinction aucune.

L’inconvénient, la contrainte ? 

S’il n’y a plus de protocole à suivre cela nécessite une analyse fine de ce qui se passe à l’instant. Fini les applications hasardeuses de méthodes, dont on ne saura si elles marchent qu’après les avoir appliquées. Non, une évaluation dans l’après coup n’est pas acceptable en santé, c’est comme se faire opérer de l’appendicite et voir si cela change le problème après. On sait ce que l’on travaille parce qu’on observe que c’est ce qu’il faut faire à cet instant. Le psychothérapeute n’est plus un aveugle applicateur de technique, un collectionneur fétichiste d’outils tous plus beaux les uns que les autres mais dont on ne sait parfois pas quoi ni quand les utiliser. Moins d’outils mais une meilleure connaissance de ses outils.

Cela valorise ainsi le métier de psychothérapeute un savoir faire, une expertise qui dépasse la maitrise de telle ou telle technique. Un vrai diagnostic comme en santé somatique. Elle sortirait ainsi la psychiatrie de l’obscurité aux yeux du public. Tout le monde comprend ce que l’on travaille et pourquoi avec des processus clairement identifiés et mesurés.

Cette approche processuelle  réunit ainsi le corps et l’esprit car on observe que ces processus ne sont pas uniquement réservés à la santé mentale et comme nous l’avons vu on pourrait tout à fait l’étendre à la globalité de l’être humain dans son milieu. Cela réunit ainsi l’homme et l’animal car également ses processus sont également comme c’est une vision humaniste et celle que je porte est à mon sens celle qui devrait l’emporter.

Yannick