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L’épuisement professionnel, du tabou à l’occasion

Le burnout est souvent vécu comme la peste du travail. Une maladie honteuse, celle dont il ne faut surtout pas parler, l’état dans lequel il faut surtout éviter de se retrouver. Or, à n’en point parler on risque de tomber dedans, parlons-en ! Taillons en pièce les idées reçues avec un message lui, attractif : ça arrive, c’est normal, et on peut s’en sortir mieux qu’avant.
 
Entre tabou, honte et synonyme de faiblesse, cette problématique souffre d’un délit de sale gueule. Or, comme toute atteinte de santé physique, il arrive aussi de se claquer le cerveau, d’être épuisé. Comme toute atteinte de santé physique, c’est aussi une question de soins et, pourquoi pas, de renaissance.  S’en sortir mieux qu’avant et se dire : « je suis heureux d’avoir fait un burnout ».
 
Explication en quelques mots et quelques paragraphes

Qu’est-ce que le syndrome d’épuisement professionnel ?

Commençons par prendre la définition de la Haute Autorité de la Santé.

Ce syndrome (une association de signes) peut se traduire par des manifestations plus ou moins importantes :

  • émotionnelles : anxiété, tensions musculaires diffuses, tristesse ou manque d’entrain, irritabilité, hypersensibilité, absence d’émotion.

  • cognitives : troubles de la mémoire, de l’attention, de la concentration

  • comportementales ou interpersonnelles : repli sur soi, isolement social, comportement agressif, parfois violent, diminution de l’empathie, ressentiment et hostilité à l’égard des collaborateurs ; comportements addictifs.

  • motivationnelles ou liées à l’attitude : désengagement progressif, baisse de motivation et du moral, effritement des valeurs associées au travail ; doutes sur ses propres compétences (remise en cause professionnelle, dévalorisation) ;

  • physiques non spécifiques : asthénie, troubles du sommeil, troubles musculo-squelettiques (type lombalgies, cervicalgies, etc.), crampes, céphalées, vertiges, anorexie, troubles gastro-intestinaux.

Alors forcément on peut tout retrouver dans cet obscur tableau. Or ces signes d’épuisement ici mentaux sont à mettre en lien avec l’origine, ici la source majeure est le travail. Là où dans d’autres cas on pourrait parler de burn-out parental, étudiant. La cause de l’épuisement détermine sa qualification. C’est une forme de dépression (une perte de pression donc) professionnelle, dépression abordée dans cet article :

Tu as tout pour être heureux et pourtant

Le problème étant de pouvoir identifier clairement le travail comme source de tourments…. Ce qui est une affaire de diagnostic médical, et n’est pas simple.

Comment ça s’attrape ?

Lorsque l’on parle de syndrome épuisement, il faut voir les choses comme un équilibre recettes / dépenses de ressources. Être en situation d’épuisement professionnel c’est de ne plus avoir les ressources nécessaires pour fonctionner. Donc soit on dépense trop soit on ne gagne pas assez.

Sphère biologique

Manquer de ressources biologiques c’est, entre autres, manquer de sommeil, d’alimentation, de repos. Ce sont des besoins fondamentaux, si nous n’y faisons pas attention la panne sèche ne saurait être évitée. Dans cette sphère, nous pourrions également trouver les dépenses physiques que ce soit  l’effort physique mais aussi toute charge opposée au corps soit le bruit, les trajets en voiture, la posture au poste de travail etc.

La sphère psychologique

Les dépenses psychologiques sont la charge mentale, l’anticipation, la rumination. Il y a là une façon de faire tourner son cerveau d’une manière exagérée par rapport à la tâche requise. Au chapitre dépense on trouve également l’interruption mentale et le multitâche qui met notre cerveau en surchauffe. A bas les open Space! Concernant, le manque de ressource,  il y a le manque de repos psychique (calme, déconnection, manque d’instant présent).

L’absence de sens au travail est aussi un des facteurs d’épuisement. En effet, travailler sans savoir pour quoi est plus que dépressogène. Travailler sans avoir le sentiment d’être utile nous confère à l’impuissance.

C’est un peu comme faire une randonnée dans le brouillard, ça monte, on n’en voit pas le bout et on en déprime. C’est ce qui se retrouve dans le brown-out, l’épuisement vient lorsqu’on se trouve dans un poste sans savoir se sentir utile: le « à quoi bon ».

 La sphère comportementale

C’est ici notre savoir-faire, notre façon d’envisager le travail qui sont concernés. Le problème est lorsque celle-ci ne convient pas ou plus au contexte (par exemple le télétravail) ou encore que notre poste requiert, soudainement, des compétences que nous n’avons pas (avoir besoin de parler en public, maîtriser l’informatique…)

Il y a beaucoup de choses à dire ici mais citons un exemple :

Le principe de Peter. Plus j’ai d’ancienneté, plus on me fait monter à des postes importants et plus je monte plus je me rapproche de mon seuil d’incompétence, si je ne prends pas soin d’être formé en parallèle. Par exemple, passer chef d’équipe sans formation de management ce qui consiste à passer d’infirmière de bloc à chirurgien. Ça ressemble mais en fait non.

Toutes ces manques comportementaux font que l’on consomme beaucoup d’énergie pour aller au même résultat.

La sphère structurelle

L’individu n’existe pas sans la prise en compte de son contexte, ici les interactions individu- individu et individu-entreprise.

Il y a évidemment le harcèlement qui consiste en une pression physique et/ou mentale qui dégrade les conditions de travail de la personne et par conséquent sa santé.

Chez un joueur de foot, l’aspect structurel serait aussi représenté par les équipements (terrain, pelouse, schéma de jeux) qui précipitent la blessure. Un exemple parmi tant d’autres :

Le double entonnoir : Le manager se situe entre deux pressions contraires et s’épuise à concilier l’inconciliable soit les désirs de son équipe et ceux de sa direction. Le cul entre deux chaises et le corps en sursis, suspendu au dessus du vide. Impuissant, épuisé, le fusible saute, on le remplace, il sature à nouveau et personne ne se dit qu’il y a un court circuit. Désespoir.

Eolepsy-lentonnoir

 

Passons du tabou à la normalité : le claquage du cerveau

 

Alors pourquoi tant de tabous ? Probablement parce que dans un culte de la performance, de culte du toujours plus, il est très mal vu de ne plus être performant et de ne plus satisfaire. Or, dans le milieu de la performance quoi de mieux que le sport ?  En effet,  la blessure  y est tout à fait intégrée. Chez ceux qui visent les cimes, qui s’étonne de se rompre les ligaments croisés ou de se faire un claquage musculaire après une période d’intenses sollicitations ou de moindre préparation ? Personne, c’est la (dure) vie du sportif.

Concernant l’épuisement professionnel c’est exactement une problématique  de performance appartenant, cette fois, au travail. On utilise son cerveau et son corps et il est tout à fait logique qu’il arrive de se blesser. On pourrait ainsi parler de claquage. Point de faiblesse là, santé physique, santé mentale, mêmes causes, mêmes effets : la blessure vient souvent d’un mauvais rapports entre préparation-effort-récupération. Ressources, dépenses, on l’a vu.

Voici la vision que nous pourrions prendre pour envisager, sans tabou, ni honte,  ni faiblesse juste de la normalité et, comme pour toute blessure, il y a une façon d’être soigné.

 

S’en sortir par le soin 

Lorsqu’on se claque le cerveau rien d’étonnant que d’être obligé de se soigner. Là encore, il y a beaucoup de tabous, aller voir un psy, se faire suivre, c’est être faible, fou, honteux. Vraiment ? Et c’est ça qui est fou. Et aller chez le Kiné pour un claquage on en parle ? Psy, kiné, médecin, même but : soigner.

Alors, quelles sont les étapes du soin ? 

Refaire les niveaux

Ce que j’appelle refaire les niveaux est équivalent à remettre le corps en état de fonctionnement. Cela concerne les besoins fondamentaux, à savoir retrouver le sommeil, l’alimentation, retrouver le goût de l’activité, retrouver une certaine concentration. Soigner ce qui a été cassé.

Apprendre et comprendre

Une fois le corps et l’esprit soignés, il convient de comprendre comment le claquage du cerveau est arrivé et ce qu’il est nécessaire d’apprendre pour retrouver une capacité d’adaptation. Pour cela, il peut être nécessaire de travailler des compétences de gestion  émotionnelle, des compétences de gestion du mode de penser mais aussi des compétences de gestion du temps ou de communication (savoir dire non). Ceci sans oublier l’aspect structurel qui est de comprendre comment, au sein de l’entreprise, notre positionnement et notre façon de travailler nous ont conduit là. Donc envisager de changer, si besoin, de quitter ou adapter son poste, ses relations.

Reprise d’appuis , remise en pression étagée

Tout comme n’importe quelle blessure la reprise d’appui doit être progressive. Or, souvent, la reprise du travail se fait de manière brutale, sans mise en condition. Là, dans l’idéal, il convient de reprendre la charge de travail, progressivement. Ce qui est rarement le cas. Or qui reprendrait la course à pied quelques semaines après une fracture du tibia ? Personne. Le soin cherche donc à accompagner la personne, afin de minimiser cette remise en charge parfois trop brusque.

Une renaissance ? 

Nous en arrivons à la dernière partie. Celle que je préfère, celle qui, telle un bon film américain, se termine bien.

Il m’arrive souvent d’entendre mes patients dire, à la fin d’une thérapie,  « Je suis content d’avoir fait un burnout » ou « Heureusement que j’ai fait un burnout ».

Comment peut-on souhaiter à quelqu’un de faire un burnout ? Il n’est pas question de le souhaiter mais juste d’arrêter de le diaboliser et de s’en servir pour rebondir. En effet, peut-être pourrions-nous le voir comme une occasion de se remettre en question, une occasion d’apprendre, une occasion de s’épanouir.

Cette force s’appelle la résilience et je l’ai abordé dans deux articles que voici

Puisque je vais mal je vais aller mieux 

et 

Rebondir, ou pas, la résilience

Le travailleur, ce sportif de haut niveau

Que ce claquage du cerveau signifie que ma façon de faire n’est plus adaptée est ce que je pourrais appeler passer d’un  sportif 1.0 à un sportif 2.0.

Le 1.0 dépense son énergie sans compter et se sent invincible, la blessure l’arrête, il repart, jusqu’à la blessure plus sérieuse. Ce qui se passait dans  le sport « à l’ancienne ». Le 2.0 apprend qu’il faut désormais se préparer, boire et gérer son effort, calculer le moment opportun où accélérer. Enfin, il sait récupérer pour avoir un maximum de performance. On est là pour performer. C’est un sportif professionnel et il pratique ainsi son sport dans le plus pur respect de son corps : Men sana in corporelle sano.

Un incident de vie peut également nous amener à revoir nos priorités, retrouver le gout des loisirs, des relations et permettre de remettre le travail à sa juste valeur. Un arrêt de travail peut nous permettre de revoir nos valeurs et peut être nous réorienter. Ecouter ses besoins. En effet, Sartre disait qu’on fait de nous ce que les autres ont voulu faire du nous, peut-être suis-je charpentier parce qu’on me l’a dit de le faire et qu’après un burnout cela me donne l’occasion de réellement faire ce qui me plaît : Pâtissier ? Infirmier ? Commerçant ? Psychologue ?

En cela, une blessure en sport est toujours une occasion de s’améliorer et de revenir plus fort ; un moment ou l’effroyable course contre la montre s’arrête et nous donne l’occasion de comprendre et d’avoir un autre rapport à la performance.

Car, comme dans le sport, le travail est censé nous apporter pas nous couter, lisez aussi cet article si vous souhaitez savoir comment passer moins de temps pour arriver au même résultat, concept appelé l’efficience :

Plus vite plus haut plus fort.e et en bonne santé

Tel est le regard que je porte sur l’épuisement professionnel, une occasion de mieux fonctionner, de grandir et de s’épanouir et non pas une fatalité qui nous colle à la peau comme dirait notre cher Jean-Jacques

Comment prévenir ?

On n’attrape pas des mouches avec du vinaigre. On ne prévient pas du burnout en parlant du burnout, ça ne fait pas envie. Faisons envie ! Parlons de plus de vie, plus d’épanouissement. Pour parler diététique avec des rugbymen il ne faut pas leur parler de moins manger, encore moins de légumes, du moins pas directement. Non, vous  leur parlez de  la 60ème minute, celle où ceux qui se sont préparés continuent de jouer la ou les autres baissent de régime (les sportifs 1.0). On leur parle de plus de performance, de victoire et d’épanouissement. Idem au travail, parlons de réduire la voilure pour un meilleur rendement, un meilleur épanouissement. Plus de temps ET plus d’Argent ET plus de Santé. Notre cerveau ne demande que cela du plus et non du moins. Personne n’a envie d’aller bosser avec pour objectif de se détendre pour éviter le burnout, on n’est pas sur un terrain pour éviter la blessure.

Conclusion : sortons du déni

En conclusion, sortons de ce déni qui est la principale cause du burnout. À ne pas vouloir voir ce risque de blessure, à l’ignorer, on finit par y aller tout droit. Plus encore, il n’y a pas pire que quelqu’un qui est blessé et qui continue de forcer et on en arrive à des blessures plus que sérieuses.

En démystifiant l’épuisement professionnel, en le réintégrant dans une logique de performance et d’utilisation des corps et des esprits, il devient plus simple de le prévenir puisque nous acceptons de le regarder en face. Et qui dit prévention dit des soins beaucoup moins conséquents et un retour au travail plus rapide. Cessons de gâcher les compétences, cessons de broyer les âmes et les corps.

Ce n’est pas une histoire de faiblesse, ni de honte mais une histoire d’humanité. Une histoire singulière et complexe qui ne se résume pas à la seule personne mais bien en un patchwork différent selon les individus. N’oublions pas également qu’une blessure nécessite des soins, donc confions cela aux professionnels du soin plutôt que d’acheter un babyfoot ou de payer des séances de relaxation. En prévention c’est excellent mais lorsque le claquage est là, un pansement sur une jambe cassée cela ne suffit pas, cela ne suffit plus.

Une métaphore pour s’en sortir ?

Pour terminer, j’aimerais vous donner une métaphore que je raconte tout le temps à ces personnes qui y laissent leur peau. Lorsque vous devez faire une omelette au lard de quoi avez-vous besoin ? Réponse d’oeufs et de lard. Pour cela vous allez voir un cochon et une poule. Quelle différence faites-vous entre les deux ? La poule donne des œufs et le cochon y laisse sa couenne. Comme dans une relation, dans un travail, le cochon s’investit et y laisse sa peau ;  la poule se sent concernée et donne des œufs. Travaillons de telle manière que nous soyons capables de nous sentir concerné et de donner toute notre vie sans jamais y laisser notre peau  !

 

Yannick 🤟