Psycho-Savoirs

Le rire, l’humour en psychothérapie ou comment prendre le rire au sérieux :-)

Bonjour à toutes et à tous,

Celles et ceux qui suivent ce blog depuis un moment ont peut être déjà lu cet article. Il est vrai qu’il date mais j’ai décidé de le réchauffer et de l’assaisonner un peu plus. En effet, le rire, l’humour et le jeu sont très présents  dans ma pratique. Je n’ai ainsi pas peur de dire que je suis un psy qui cherche à faire rire ses patients tant le rire et l’humour sont de puissants vecteurs de changement en psychothérapie: explication, ou….

comment prendre le rire au sérieux. 

Le rire, oui, mais pas n’importe comment ni dans n’importe quel but.  Rire pour avancer et faire avancer vers ce qui compte pour nous plutôt que de lutter (inefficacement) contre nos ressentis désagréables (si cette phrase vous semble énigmatique, peut être pourriez lire cet article d’abord, L’ACT).

Alors pourquoi rire? 

LE PLAISIR

Travailler sur soi, sur sa souffrance n’est pas une chose facile. Ainsi, le rire permet de rendre les entretiens plus attractifs : travailler avec plaisir même dans la difficulté. Rire renforce aussi l’alliance thérapeutique. L’alliance thérapeutique est  le contrat que se fixent le patient et le thérapeute pour travailler sur le problème. Mais surtout, le plaisir reste avant tout notre moteur pour avancer et faire face à ces choses parfois si difficiles. Rendre les choses déplaisantes plus « plaisantes » est un art, une pratique qui ne date pas d’aujourd’hui.Ne dit-on pas « faire contre mauvaise fortune bon cœur? ».

LE RELÂCHEMENT MUSCULAIRE

Nous travaillons souvent la gestion émotionnelle et le relâchement musculaire à l’aide des techniques de pleine conscience. Le rire vous apporte tout autant ! Grâce à cela nous travaillons également la gestion des émotions.

RIRE ET CERVEAU

Le rire stimule également votre cerveau ! Comme nous avons pu l’aborder lors de l’article sur la dépression (ici), il existe des problèmes psychiques où l’on trouve un déséquilibre de neurotransmetteurs (ce qui véhicule l’information dans le cerveau).  Ce sont ces déséquilibres que corrigent les antidépresseurs. Ainsi le rire, par sa capacité à stimuler la production de ces molécules, aide à lutter contre ces maladies psychiques.  Quitte à prendre le relais des médicaments?

RIRE OK, MAIS C’EST QUOI L’HUMOUR EN PSYCHOTHÉRAPIE?

  Tout d’abord définissons l’humour. Si l’on prend le Petit Larousse l’humour est une forme d’esprit qui s’attache à souligner le caractère comique, ridicule, absurde ou insolite de certains aspects de la réalité mais également, toujours selon ce Petit Larousse, le caractère d’une situation, d’un événement qui, bien que comportant un inconvénient, peut prêter à rire.
 
Il y a alors deux choses dans l’humour. Premièrement, l’idée qu’au sein d’une situation douloureuse il est possible de trouver une forme de réconfort et cela selon la forme de l’esprit. C’est le second point. En effet, cette forme d’esprit est ce que l’on appelle le second degré, celui qui nous permet de tourner les choses à la dérision.

Le second degré

Pour exemple, c’est le moyen qu’avaient trouvé les gens de 19ème siècle pour quelque peut s’affranchir de l’oppression des personnes de pouvoir à travers le Guignol chers aux Lyonnais. En tournant en dérision leur sort il leur était quelque part possible d’en rire. Et rire de son sort c’est s’en libérer un peu.

En thérapie d’acceptation et d’engagement l’humour, le rire et la dérision trouvent pleinement leur place. En effet, comme vous aurez pu le lire,  nous nous entrainons à faire de la place à ce qui nous dérange intérieurement plutôt que de lutter inefficacement ; cela  pour mieux agir vers ce qui compte pour nous.

Soit moins faire d’actions pour ne pas penser et plus pour se diriger vers une vie plus riche. Cette démarche n’a pas pour but de minorer ni de banaliser la souffrance mais bel et bien de l’observer sous un autre angle de vue:  le décalage…l’humour décalé.

Dans ce cadre quatre dimensions sont, entre autres présentes, dans le rire : Le décrochage des pensées, l’acceptation, le « switch émotionnel » et enfin la compassion. Démonstration.
 

UN AUTRE POINT DE VUE: LE SECOND DEGRÉ

Le principe de la TCC est de nous permettre d’envisager les choses sous un autre angle. Epictète, philosophe grec, ne disait-il pas :
 

« Ce qui trouble les hommes, ce ne sont pas les choses, mais les jugements qu’ils portent sur ces choses.  »

Ainsi l’humour – le second degré- est la voie royale vers ce changement de point de vue. Un mot peut prendre plusieurs sens. Souvent notre cerveau interprète certaines choses d’une manière biaisée (un regard particulier, un mot, et hop ma tête me dit qu’il ne m’aime pas). Apprendre, par le second  degré, qu’un même mot peut prendre plusieurs significations selon l’intention, est un début pour remettre en question nos défauts de pensées.

LE DÉCROCHAGE DE NOS PENSÉES

 

Il vous est certainement arrivé de vous rendre compte de vos défauts et d’en rire, on appelle cela la dérision. Il vous est également peut être arrivé de rire d’un sketch à la télévision où vous vous êtes complètement reconnu. Le rire a pour fonction de se voir de l’extérieur avec un effet loupe sur les défauts.

Cette expérience, en thérapie d’acceptation et d’engagement, est appelée Défusion. Alors me direz vous: qu’est-ce que la Fusion?

La fusion est l’état dans lequel on est lorsque l’on est dans nos pensées. Par exemple lorsque l’on conduit et que l’on oublie la sortie d’autoroute parce que l’on est coincé dans notre rumination. Ou plus difficilement lorsque notre tête nous dit que cette araignée va nous sauter dessus. Ou lorsque vos enfants ne vous ont pas appelé à 18h et que vos pensées vous racontent qu’il est peut être arrivé un accident.

Je suis ce que je pense?

Ces situations représentent l’état de fusion: Vous êtes vos pensées.

Être accroché à ses pensées négatives signifie que nous accordons une trop grande importance à ce qui n’est qu’une pensée et non un fait. La pensée négative active ainsi les émotions et des comportements souvent mal adaptés.

Un des objectifs de l’ACT est de vous aider à vivre différemment ces pensées. De prendre conscience que ces pensées ne sont que des productions de votre esprit et ne sont pas la réalité. Que ces pensées sont comme un écran de cinéma. On peut sortir avant la fin du film.

Alors, le rire est cet outil privilégié qui permet de rire de ces pensées, de ces scénarios infernaux dans lesquels nous nous engageons.

Se décaler de ses pensées

Je ne peux évidemment pas vous expliquer comment nous rions en séance car ce n’est pas programmé, ce n’est pas une obligation. Lorsque le rire est là il est utile mais parfois je recommande aussi à mes patients de visionner certaines vidéos qui pourraient les aider à  mettre à distance leur problème.

Exemple:

Une de mes patientes présentait un trouble anxieux généralisé. C’est un trouble qui consiste à envisager toujours le pire, s’inquiéter de tout, tout le temps. Ce que j’appelle le « forfait soucis ». Cette patiente était sans cesse en train de penser à ce qui pourrait arriver. Dès que ses enfants n’appelaient pas en rentrant, dès que son mari avait cinq minutes de retard, elle pensait au pire: l’accident, la catastrophe.

Je lui ai conseillé d’écouter ce sketch de Jean-Marie Bigard sur les chauve-souris. Après l’avoir écouté, Emilie, lorsqu’elle apercevait ses idées noires, se disait alors « re voilà le mode chauve souris »… et éclatait de rire en pensant à ce sketch…

 

Second exemple: 

La peur, nous l’avons vu ici (La peur) peut être vécue selon plusieurs points de vues. C’est un peu ce que Carole a pu observer en visionnant la vidéo suivante. En effet, Carole, au moindre soubresaut émotionnel se disait « ahlala c’est le drame !!! ». De ce fait, vous l’imaginez bien, son rythme cardiaque et sa respiration s’accéléraient ce qu’elle interprétait de cette manière « je vais mourir »…etc, le cercle vicieux.
Après quelques séances et une fois la confiance établie, je l’ai alors invitée à visionner ces deux vidéos assez régulièrement jusqu’à ce qu’elle puisse accueillir d’une autre manière à la fois ses sensations désagréables mais aussi sa pensée « c’est le drame » (elle qui était fan de Groland pour ceux qui connaissent).
 

Un dernier pour la route parce que l’humour c’est aussi des histoire drôles:

Paul souffre d’agoraphobie et évite toutes les situations où il risque de sentir mal. Persuadé à chaque fois de faire une attaque de panique s’il continue, Paul est persuadé qu’il s’en sort de justesse parce qu’il fuit la situation…Paul développe alors la croyance que parce qu’il fuit cela va mieux et donc que s’il reste cela va aller mal. Voici l’histoire qui a bien fait rire Paul et l’a aidé à se décaler un peu de sa croyance.

Des tigres?

Dans un parc, un homme étale des feuilles A4 blanches tous les mètres  et méticuleusement. Il les pose d’une manière très régulière. Un passant lui demande;
– Pourquoi faites vous cela Monsieur?
– C’est pour éloigner les tigres mon cher ami !!
– Mais il n’y a pas de tigre par ici!
– Eh bien vous voyez bien que cela marche !
Ce n’est bien évidemment pas cette histoire qui l’a guéri mais elle a pu placer son travail dans un contexte où l’humour a pu le fait sourire de son comportement et faire ressortir le coté absurde.

L’acceptation

Une des notions que je travaille beaucoup en ACT est la notion d’acceptation…

En effet, il est fréquent que les personnes en souffrance se rendent malades d’être malades.Ce phénomène est très fâcheux puisqu’il empêche d’aller mieux du simple fait de la non reconnaissance que l’on souffre. C’est un peu comme si un amputé de la jambe n’acceptait pas sa chirurgie et s’efforçait de marcher pensant toujours avoir ses deux jambes.

Nous reparlerons de l’acceptation dans un prochain article car ce n’est pas ici le sujet. Retenez simplement que l’acceptation n’est pas résignation. C’est une attitude où l’on accepte que les choses soient là, leur faire une place. Celle-ci concerne à la fois nos ressentis intérieurs mais aussi les événements extérieurs ou encore notre état de santé. Accepter que l’on souffre de dépression c’est ensuite pouvoir consulter un professionnel et donc se rapprocher de la sortie du tunnel. Accepter que la douleur soit là car grâce à elle j’arrête de porter des cartons n’importe comment.

Se faire une place

Chez les personnes qui sentent déjà que l’acceptation est possible, car sinon ceci peut être mal vécu (toujours l’idée d’attendre que la personne soit prête à rire de son problème et non d’elle même), je leur conseille de visionner cette petite vidéo:

 
J’accepte!!

LE CHANGEMENT DE CONTEXTE : Le « switch émotionnel »

Vous l’aurez compris l’humour sert avant tout à faire changer le contexte. Car lorsqu’un humoriste déroule son sketch, si nous rions c’est que c’est dans un contexte particulier. Or ce ne sont toujours que des mots, des phrases, des sons, les mêmes que notre tête nous raconte, parfois toute la journée.

L’idée du « switch émotionnel » (une appellation personnelle mais qui rejoint ce que nous avons vu plus haut) est de créer un conditionnement différent. En effet si lorsque étant petit on m’a dit « tu es nul », cette phrase, cette suite de mots, a été associée à des émotions négatives. Ce conditionnement, cette contamination, fait qu’à chaque fois que je ne réussirai pas je me dirai « tu es nul » et angoisserai par la suite.

Exemple:

Julie est jalouse, elle le sait, mais ne peut s’empêcher de mordre à son hameçon « angoisse d’abandon ». Julie épluche le compte Facebook de son mari, lui demande de lui envoyer des photos pour vérifier s’il est à son bureau. Lorsque Julie mord à cet hameçon elle observe que son mari s’éloigne d’elle mais ne peut s’empêcher de le pister, chaque coup de téléphone commence par « chéri, t’es où ».
Voici la vidéo visionnée par Julie. Le « switch émotionnel » a été pour elle une occasion de rire de son comportement au moment où elle appelait son mari avec cette phrase « chéri t’es où? » pleine d’angoisse. Son mari ayant lui aussi pu voir cet extrait a pu l’aider à voir les choses d’une manière plus objective plutôt que par le filtre de sa pensée « il va me quitter ».
 
 
 

LA COMPASSION

Sans développer ce qu’est la compassion car j’y ai déjà consacré un article ici (La compassion). Le rire nous aide à peut être nous accueillir avec un peu plus de douceur et de bienveillance. Car, lorsque l’on rit de nos problèmes, souvent d’autres sont avec nous. Lorsque l’on s’identifie à l’humoriste, au clown triste ou encore à Calimero c’est, en miroir, nous même à qui nous nous identifions, nous attachons.

Que l’on le veuille ou non nos défauts sont là et d’autres les trouvent même charmants (avez vous entendu cette superbe pub meetic? « Moi j’aime Florian parce qu’il est maladroit ») donc autant en rire et en faire une force.

Être quelqu’un qui nous fait du bien

C’est ce que Charlot faisait si bien dans les temps modernes. Rire de soi, pratiquer l’humour, le second degré, c’est avant tout se prendre dans les bras et se dire « t’es pas si pire ». Un peu comme cette dernière vidéo de Florence Foresti. Mesdames, si vous  êtes persuadées d’être une mauvaise mère, que toutes les autres y arrivent et pas vous, cette vidéo est pour vous. Et si vous aimez cet extrait, si vous aimez ce personnage joué par Foresti, c’est que quelque part vous vous aimez. Apparemment il y a beaucoup de mamans (de pères) dans la salle qui (de ce fait, vous) l’aiment également.

 
 

Ainsi, le rire en psychothérapie n’est pas moqueur, il sert la vie, il sert le travail contre la souffrance. On ne rit pas de la personne, ni du psy. On rit du problème comme pour le mettre un peu à distance. J’espère qu’en lisant cet article je ne vous aurai pas choqué car loin de moi l’idée de manquer de respect à mes patients. Bien évidemment ce n’est pas magique et ne marche pas du premier essais. C’est un outil parmi d’autres mais qui va dans le sens d’une thérapie (une vie) centrée sur les solutions et non (seulement) sur les problèmes.

Comme à chaque fin d’article je vous propose un petit exercice tiré de ma boite de clown.

EXERCICE DE CLOWNAGE THERAPEUTIQUE

 
Dans cet exercice, clowner c’est prendre une situation au premier abord douloureuse et en faire quelque-chose de « riable » (oui car risible est un peu connoté à mon goût)  .

En thérapie d’acceptation et d’engagement ceci revient à observer la façon dont on se conçoit (le soi) parfois d’une manière trop péjorative ou trop générale par exemple: « je suis grincheux », « je suis anxieux ». Se définir comme cela c’est aussi se prédisposer à se comporter ainsi et donner cette image (qui n’est pourtant qu’une facette) aux autres. Or, ce « grincheux », cet « anxieux » n’est peut-être qu’une des facettes de nous même.

Allons, clownons cela…

Laissez venir à vous la pensée ou l’émotion qui, quand elle vous accroche ou lorsque vous mordez à l’hameçon, vous fait vous comporter d’une manière exagérée. Un peu comme si juste avant tout allait bien et tout d’un coup vous vous transformez  en quelque chose d’animal.

A quoi ressemblez vous lorsque vous mordez à la colère, l’injustice, la peur ou encore la tristesse? Si l’on met une camera dans la pièce au moment ou vous vous transformez que pourrions nous observer.  Ça y est vous l’avez en tête?

En quoi vous transformez vous quand…

Je vous invite alors à imaginer le personnage de BD, de film ou de dessin animé qui se rapprocherait le plus de l’état en lequel vous vous transformez lorsque cette pensée, cette émotion vous prend. Ou bien est-ce un animal, une forme, un objet?

Lorsque vous l’aurez trouvé peut être pourriez vous lui donner un nom un peu comme les nains de Blanche neige.

Que ressentez vous maintenant que vous avez clowné  votre fâcheuse façon d’agir? Tâche alors pour vous, la prochaine fois que cela arrive, de vous dire: tiens je suis en train de me transformer en….

 

ça? ou…ça?

Et peux être changer votre regard sur vous même ou encore couper au plus vite la transformation.

Pour information, voici en quoi je me transforme….

 
 
 

Ce que ne manquent de me faire remarquer les gens qui me connaissent, sauf que maintenant cela les fait rire (un peu plus, n’exagérons pas :-))!

Si vous avez des commentaires, n’hésitez pas, je serai heureux d’échanger avec vous sur ce sujet.

Pour terminer je vous laisse avec cette citation

“L’humour ? Une mission, faire du bien aux gens.” Sylvie Joly

A bientôt,
 
Yannick

Merci à Jean Christophe Seznec pour son livre sur le clown

 

Psychologue aux multiples influences je base ma pratique de prise en soin sur la thérapie d'acceptation et d’engagement, la psychologie positive ainsi que les thérapies cognitivo-comportementales. En institution, en cabinet de ville, en formation professionnelle ou encore en tant que Blogueur ma vision de la personne en souffrance est bien celle d'une personne non pas "malade" mais plutôt "coincée": En devenir. C'est ainsi à travers une pratique mêlant psychologie, philosophie, humour et métaphores que je voue mon activité professionnelle à aider la personne à avancer vers ce qui compte pour elle.

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