Psycho-Savoirs

Suis-je normal(e)?

Bonjour à toutes et à tous,

Après cette longue interruption estivale j’aimerais aborder une inquiétude récurrente chez mes patients en début de psychothérapie: Suis-je normal(e)?


Autrement dit, suis-je fou ou folle : la peur de ne pas être dans la norme. Cette inquiétude est tout à fait légitime mais force est de constater qu’elle fait appel à un certain nombre de représentations parfois fausses ou exagérées. Mais surtout, elle constitue un problème à part entière qui à mon sens aggrave la situation. Explication.

Il est tout à fait logique de vouloir être dans la norme dans une société millénaire comme la notre. En effet, ceci  s’appelle l’instinct grégaire. D’un point de vue de la sélection naturelle nous avons plus de chance de survivre en étant en groupe que seul.

Ce trait, sélectionné après quelques millions d’années, est responsable du désir de conformité : être normal. Risquer d’être anormal revient ici à prendre le risque d’être rejeté du groupe…. et donc de mourir (il y a des millions d’années bien sûr)
Mais alors …

Qu’est-ce qu’être normal?

Tout le monde veut être normal mais se pose-t-on la question de la normalité? A quelle normalité se réfère t-on? Petit essai de définition.

La normalité ou l’anormalité peut se définir selon plusieurs références.

La normalité sociale

Le première est la norme sociale, culturelle. En effet, la culture (et bien souvent la religion) prescrit et proscrit les bons ou mauvais comportements. Ces normes sont ainsi renforcées et inculquées depuis le plus jeune âge. Ceci est réalisé à travers l’éducation ce que l’on appelle la socialisation. Or, actuellement, on observe une augmentation faramineuse de normes et de règles. Est-ce tenable?

Le problème ici, vous en conviendrez, est que nous ne sommes pas tous issus du même moule social, culturel et religieux. Alors quelle norme observer? Le danger est ici le conformisme, ou autrement appelé la pression de conformité. C’est la tendance qu’a un groupe ou un système à faire pression sur un élément pour qu’il rentre dans la norme. Cette pression est très visible dès que vous essayez d’être un tant soit peu original, singulier par exemple avec une coiffure, une barbe ou un vêtement : les remarques fusent aussitôt !

Être ou ne pas Être

Or est-ce ce que nous voulons, et est-ce souhaitable, que nous nous ressemblions tous? La société  et ses individus  adoptent deux comportements opposés, supprimer les différences tout en ne cherchant qu’à se singulariser. On en est tout de même à personnaliser les couleurs de sa voiture!

Il est important  et « normal » qu’une norme, qu’une règle unissent des personnes pour former un groupe et s’y sentir bien. Le problème est alors la fameuse pression de conformité parfois si forte qu’elle ne tolère plus qu’une règle. Ceci ne poserait pas de problème si l’on parlait de normes sociales et de diversité et donc de tolérance. Ceci vaut donc pour toutes les différences même psychologiques.

L’important est alors de peut-être comprendre que l’on n’est jamais seul à souffrir -ce dont beaucoup de mes patients sont persuadés – et qu’une souffrance n’est jamais anormale : puisse que cela existe. Je ne suis pas anormal et cela se soigne. Ainsi,l’anxiété, par exemple, et contrairement à ce que la société attend de nous (que nous soyons tous heureux) n’est pas une anormalité.

La norme statistique


La normalité est ici observée à travers un calcul statistique. La moyenne étant la norme et les extrêmes étant l’anormalité, un peu comme dans le calcul d’un QI. Cette simplicité est intéressante pour diagnostiquer les problèmes mais elle a tendance à coller des étiquettes, parfois dures à décoller.

Cette loi est représentée par la courbe de gauss (appelée aussi loi normale) ci-après où 25% sont la norme/moyenne et 75% en dehors. Ainsi, où est alors la norme quand 75% des personnes sont considérées comme en dehors de la norme? Si on taquine un peu ce serait les 25% (la minorité) qui serait A-normaux.

Le problème ici est double. Premièrement, parce que les extrêmes sont stigmatisés. Or, des gens comme Dali ou Einstein, de grandes personnes pour l’Humanité font partie des extrêmes! Deuxièmement, une valeur ne résume pas un être humain. En effet, je peux être à un extrême concernant une dimension de l’être humain (la taille, l’intelligence, la créativité) mais tout à fait me retrouver dans la moyenne ou à un autre extrême concernant d’autres dimensions (se reconnaitre dans l’espace, les habilités motrices). Cette classification donne donc des étiquettes dont il est parfois difficile de se défaire et qui nous stigmatisent et nous ne nous laissent aucune possibilité d’évolution: pensez donc à ses enfants que l’on dit « terribles », « gauches » « surdoués »…

Chacun dans des cases

La question est alors d’observer la personne (et soi même) selon une globalité car parfois ces différences décriées sont parfois (même souvent) des forces et des aptitudes précieuses.

En effet, une étude a montré que les personnes anxieuses ont  une moyenne de QI supérieure à la moyenne. « L’anxiété peut amener à éviter les situations dangereuses », note Jérémy D. Coplan, auteur principal de l’étude. L’angoisse pousserait donc les hommes à ne pas prendre de risques, ce qui serait un avantage pour la survie de l’espèce humaine.
En clair, les hommes les plus anxieux auraient été naturellement sélectionnés parmi l’espèce humaine, en raison justement de leurs craintes qui les poussent à anticiper les dangers, et à mettre en place des stratégies pour se protéger (pour ceux qui lisent ce blog depuis le début ceci ne vous rappelle rien? pour les autres vous pouvez lire cet article Peurs et compagnie)

Source : « The relationship between intelligence and anxiety: an association with subcortical white matter metabolism« , Frontiers in evolutionary Neuroscience, 12 avril 2012.

La norme médicale

La psychiatrie moderne classe (dans un livre nommé le DSM V) l’anormalité selon un diagnostic ce que l’on appelle des troubles psychiques. Un label est donc donné : trouble anxieux généralisé, trouble obsessionnel compulsif, autisme ou encore schizophrénie. Cette classification a l’avantage de détecter et de prendre en soin précocement la souffrance ainsi qu’elle définit un langage commun pour les soignants mais elle n’est pas exempte de critiques.

En effet, labelliser quelqu’un comme malade a d’importantes conséquences. Tout d’abord, elle enferme la personne dans son trouble, je ne suis plus Yannick habitant ici et ayant tel rôle et telles compétences, si je deviens Autiste. Cette stigmatisation peut avoir un effet inverse c’est à dire cantonner la personne dans un rôle de malade à la fois dans sa façon de se comporter mais aussi dans les attentes et la perception qu’à la société d’elle. Mais suis-je autiste ou Yannick porteur d’un trouble autistique. Cette anormalité me résume-t-elle?

L’étiquette qui colle


Petit exemple d’une patiente porteuse d’un trouble obsessionnel compulsif : Lorsque sa tête lui dit, quand elle a touché une poignée,  que celle-ci est sale et peut être contaminée par le SIDA, Sylvie va se laver les mains parfois 30 minutes. C’est, certes, anormal j’en conviens.  Mais après une psychothérapie efficace, Sylvie ne ritualise plus comme on dit dans le jargon « psy », simplement elle se lave souvent les mains, parce c’est hygiénique et effectivement elle range beaucoup. Or, l’entourage y voit toujours la manifestation de son TOC là où en enlevant cette étiquette diagnostic on pourrait dire que Sylvie est maniaque. Ainsi résumer la personne à son trouble peut ainsi créer plus d’anormalité que d’en résoudre.

Le diagnostic cette étiquette

Pour aller dans le sens du diagnostic et de ses inconvénients il est intéressant de regarder du côté d’autres cultures. En effet, en occident, être catégorisé comme « malade » nous retire de la société dite « normale ». Elle permet certes le soin mais elle isole.

Prenons la schizophrénie (soit, sans m’étendre, l’altération de la perception de la réalité ou les pensées délirantes). En France, lorsque vous entendez schizophrénie que pensez vous de la personne que vous avez en face de vous? Eh bien en Afrique le schizophrène est peut-être la personne la plus importante du village (le sorcier) et est, chez les indiens, celle qui communique avec les esprits. Dans ces civilisations la normalité est intégrée à la société, un rôle et une place leur sont réservés. Cette inclusion permet alors, en plus de ne pas stigmatiser la personne, de lui donner une place, une identité. Ceci permet peut être de ne pas aggraver la souffrance et donc le trouble lui même.  On pourrait même valoriser ces dits « troubles » comme dans le livre de Bernard Werber « l’ultime secret » où chaque personne porteuse d’un trouble psychique est employée selon ses compétences (et non plus des troubles 😉 : la paranoïaque à la sécurité, l’obsessionnel au contrôle des règles, les troubles délirants à l’art et la musique…etc.

Chacun a sa place

La question de la normalité est donc complexe et, loin de l’avoir expliquée avec certitude, peut être devrions nous prendre des précautions avant de considérer et se considérer comme normal ou non. Peut être devrions prendre des précautions avant d’aggraver notre cas 😉 (compassion quand tu nous tiens) et pourquoi pas ne pas revendiquer notre anormalité comme dans cet article le bonheur de la transgression.


Alors que faire de cette normalité?

Petit extrait de la façon dont nous travaillons cette question avec mes patients (lorsqu’elle se pose).

Qu’est ce qui est normal en thérapie d’acceptation et d’engagement?

En thérapie ACT (si vous ne savez pas ce qu’est l’ACT lisez ceci…L’ACT) nous observons avec nos patients qu’agir et lutter pour ne pas ressentir telles émotions ou sensations ou encore ne pas avoir telle ou telle pensée est vain.

En effet, si je vous interdis de penser à une banane, à quoi pensez vous? D’une manière résumée à l’extrême nous cherchons à prendre conscience de nos actions destinées à lutter contre nos ressentis désagréables ainsi que de leur inefficacité. Surtout, nous observons que pendant ce temps là nous conduisons assez peu d’actions vers ce qui compte réellement pour nous.

Par delà le bien le mal

En ACT, ce qui est anormal c’est de passer plus de temps à lutter (fumer pour se détendre, ruminer, éviter pour ne pas être angoissé(e)…etc) que de passer du temps vers ce qui compte indépendamment de nos contenus désagréables. En ACT, ce ne sont pas nos pensées qui sont anormales (ce ne sont que des pensées et non des faits, voir cet article par ailleurs Gérer ses pensées) mais ce que nous en faisons parfois.

Pour exemple cette étude de Rachman et De Silva (datant de 1978!) indiquant qu’il n’y a pas de différence entre les personnes souffrant d’un TOC et les autres concernant les pensées intrusives (pensées anxiogènes). La différence réside alors dans le rapport qu’entretiennent ces personnes avec leurs pensées. Effectivement considérer ces pensées comme anormales nous oblige à lutter contre elles et donc à augmenter leur fréquence (comme s’interdire de pensées à une banane;-).

Je suis ce que je pense?

Or, une pensée n’est pas un fait. Et c’est normal de penser par forcément de le faire!

Par exemple nous avons tous parfois des pensées bizarres voire des superstitions : passer sous une échelle, ou se dire « araignées du matin chagrin »…etc. Une personne ne souffrant pas de TOC ne prêtera pas une attention excessive à ces pensées alors qu’une personne porteuse d’un TOC, elle, va tout faire pour ne plus penser à cette pensée anxiogène et parfois y passer sa journée.

Ce qui est  anormal ici est bien de passer une journée à « faire partir » une pensée plutôt que la pensée elle même, vous me suivez?

Ce concept est appelé l’acceptation, c’est à dire la capacité à rester en contact, à accueillir ces ressentis désagréables sans chercher à modifier leur intensité. Ceci nous conduit alors vers une meilleure flexibilité psychologique c’est à dire la capacité à accomplir des actions qui comptent pour nous malgré ces obstacles intérieurs.

Moi même ma propre norme?

Enfin, et pour finir sur cette épineuse question de la norme, j’aimerais vous parler d’un concept  An-archie dont parle souvent Michel Onfray (repris d’Albert Camus). Cette An-archie n’est pas ce que l’on peut penser habituellement dans sa version destructrice. C’est plutôt une capacité à se construire selon ses propres règles et choisir de les accorder avec l’autre. Ce n’est pas être contre les autres mais être avec soi et avec les autres. Ainsi, « Etre à soi même sa propre norme » dixit E.Kant c’est assumer qui l’on est (et ce que l’on n’est pas et ne sera jamais) et même le revendiquer. Mais, n’est-ce pas ce que font les artistes? Voire ce que l’on recherche en eux cette A-normalité, ce qui n’est pas dans la norme?

Dans cette idée d’être et de construire sa propre norme  il y a une invitation à un travail d’inventaire sur ce que nos parents et nos ancêtres nous ont légué. Choisir ce que l’on souhaite conserver, ce que l’on souhaite revisiter, choisir ce que l’on souhaite ajouter et transmettre aux générations futures.

Choisir et assumer d’être A-normal c’est choisir d’être singulier et peut être refuser cette uniformisation des êtres qui, comme dans la culture, la santé, le sport, supprime l’originalité: le French Flair pour ceux qui connaissent cette expression rugbystique.

Enfin terminons par cette citation:

« Ce que l’on te reproche, cultive le, c’est toi »  

Jean Cocteau

Ceci ouvre sur le thème de mon prochain article et sur la discipline sur laquelle je me penche actuellement : la psychologie positive.

Cette approche traite des forces et vertus de l’être humain  Elle invite à se poser la question En quoi suis-je bon? Elle porte ainsi ses efforts sur la valorisation des qualités des personnes plutôt que sur les incapacités… affaire à suivre.

J’espère que cet article vous aura plu,

A bientôt

Yannick

Psychologue aux multiples influences je base ma pratique de prise en soin sur la thérapie d'acceptation et d’engagement, la psychologie positive ainsi que les thérapies cognitivo-comportementales. En institution, en cabinet de ville, en formation professionnelle ou encore en tant que Blogueur ma vision de la personne en souffrance est bien celle d'une personne non pas "malade" mais plutôt "coincée": En devenir. C'est ainsi à travers une pratique mêlant psychologie, philosophie, humour et métaphores que je voue mon activité professionnelle à aider la personne à avancer vers ce qui compte pour elle.

Un commentaire

Laisser un commentaire