Psycho Pratique

Quand le positif et la bienveillance tournent à la tyrannie. Des bisounours à Chucky

Bonjour à tous,

Une fois de temps en temps, j’équilibre un peu mon bilan carbone de donneur de leçon. En effet, les psy sont champions pour donner des leçons, pour donner des conseils. Or, trop de conseils tuent les conseils et se muent en une inopérante prêche.

Cette fois-ci tordons le cou à la bienséance bienveillante. Appliquée à toute les sauces.

Pourquoi, lorsque je dis à ma femme chérie « tu es belle » et que je lui offre des fleurs, j’entends, « tu as quelque chose à te reprocher » ; « parce que d’habitude je suis moche ? » ?

Pourquoi, lorsque, dans une entreprise, on parle de « valeurs » de bienveillance et d’écoute, le salarié, qui exprime un point de vue « non approuvé par la direction », se retrouve-t-il ignoré avec un « mais non tout va bien, « vous verrez cela va passer » ?

De ce point de vue, le positif ne passe pas, pire cela empire.

Pourquoi le tout positif, tout le temps ; la bienveillance en toute circonstance ratent leur objectif et se muent en douce tyrannie, en poison exquis ?

 C’est ce dont j’aimerais vous entretenir.

Le problème n’est pas tant que cela ne marche c’est surtout lorsque la bienveillance se vomit à outrance.

Bienséance culpabilisante.

En effet, comment dire à une mère qui vient de perdre son enfant, que le monde est positif, que l’amour c’est beau qu’il faut faire preuve de tolérance. Non, cette mère est emplie de haine, de colère et de tristesse. Lui dire que cela va passer c’est ajouter un fardeau supplémentaire et surtout la culpabiliser de ne pas « aller bien «  de ne pas être comme tout le monde » (cherchez moi ce tout le monde qu’on l’étrangle une bonne fois pour toute)

Il y a alors une nauséabonde odeur de Barbapapa avec des relents de dictature. Une morale qui ni ne dit, ni n’assume son nom, tel que le décrit Aldous Huxley avec son livre dont le titre dit tout : le meilleur des mondes. Le meilleur des mondes est-il un endroit où tout doit aller bien et où tout le monde doit se sentir bien ? Non ce premier point nous indique que les flèches de la bienveillance partout ratent leur cible.

Un avis sans contre pouvoir se mue bien en tyrannie. La vie s’élève de par la confrontation des points de vue et la conflictualisation. Sans cela rien n’évolue, pire, les rancœurs passent pas de sombres détours, et produisent frustration et souffrance. A vouloir imposer la tolérance on la dégrade par ailleurs. Intolérant à l’intolérance. Malveillant avec la malveillance.

 

Une lutte

Cette négation du mal nous amène à un processus bien connu en ACT : l’évitement expérientiel. Ne pas vouloir ressentir ce qui est désagréable, chez soi mais aussi chez les autres. En effet, le positif, la bienveillance à tout va peuvent être vus comme une solution d’évitement des conflits, de la colère, de la tristesse, non invités au bal des Hommes. Des sentiments que l’on a plus vite fait d’évacuer par la petite porte qu’à les assumer à la lumière de la vie.  Or, plus vous chercherez le positif pour faire fuir le négatif plus vous amplifiez ce denier.

En effet, si vous suivez cette page depuis un petit bout de chemin vous savez peut être que l’une des principales causes de notre souffrance est de passer plus de temps à lutter contre nos pensées et émotions plutôt que d’agir. Si lorsque vous venez de vous faire plaquer par votre petit ami, épris de tristesse et repensant à  lui ou elle partie avec la voisine je vous dis « n’y pense plus, ça ira mieux » « une de perdue.. »… est-ce que cela va mieux ? Non, vous seriez en colère contre moi et, à la suite culpabiliseriez d’avoir envoyé baladé ce gentil psychologue positif tout plein qui vous veut du bien.

Le problème n’est ainsi pas le positif ni la bienveillance mais la fonction qu’ils visent. Est-ce pour eux même ou pour faire fuir le négatif (voir ce texte et cette vidéo)  ?

 

Une dangereuse bienveillance

Plus encore, à trop nier la malveillance ou à imposer un positif, on s’égare sur des chemins peu recommandés. Le positif et bienveillant à tout prix peut alors se payer d’un prix bien souvent trop élevé. En effet, si ma fille de 16 ans me dit « papa je vais à ma première soirée et, comme tu me l’as appris, le monde est beau. Je suis belle et tous les hommes sont bons et généreux », que dis-je ? « Oui ma fille soit bienveillante et tolérante, et n’oublie pas de tendre l’autre joue » ? Que nenni, viens là que je t’explique « la vie des bêtes », on n’a pas que 30 millions d’amis.

A trop vouloir voir ce qui va bien on oublie que le monde est aussi dangereux. Se lover dans un écrin de bienveillance c’est aussi se draper la face d’un voile d’illusions. Viens ma fille je vais d’expliquer le monde des garçons cools mais aussi pas cools. Bienveillante avec les bienveillants.

Une ennuyante bienveillance

Quatrième et dernier point, qu’allons-nous devenir si l’on devient tous bienveillants, tous positifs sans aucune lueur sombre, sans aucune ombre au tableau ? Le zen c’est cool dans les livres mais à vivre ? Le tout positif nous plonge dans un politiquement correct où dire ce que l’on pense est vécu comme une agression, où un mot de travers emporte tout. Le positif se mue alors en mièvrerie pour mieux laisser passer les choses par derrière. Mieux vaut un bon conflit, ouvert, franc et pas toujours correct quitte à s’en excuser, quitte à en boire une bonne bière. C’est ça aussi la vie.

 

Alors que fait-on ?

 

Bien sûr la psychologie positive, la bienveillance, la tolérance sont des valeurs à promouvoir et à mettre en pratique mais pas uniquement pour enlever le négatif, ni pour nier la souffrance. Non pas qu’il ne faille pas s’occuper de faire reculer ce négatif mais disons que ce sont deux choses différentes.

 

Acceptation

Promouvoir les affects positifs implique tout d’abord d’apprendre à tolérer ses sentiments désagréables et ceux des autres, de leur faire une place. Ce que l’on appelle faire preuve d’acceptation. Pour creuser cette épineuse question voici un article et une vidéo L’acceptation 

 

Tolérant vis-à-vis de la souffrance.

Ceci n’a rien à voir avec le fait de tolérer les comportements négatifs, ici on parle de sentiments. Pratiquer plus de sentiments positifs que de négatifs, c’est-à-dire passer plus de temps à chercher ce qui va bien sans pour autant nier ce qui va mal.

Sortir de cette funeste opposition.

Ceci est le premier point. Dans un second temps nous pouvons passer du temps à lutter contre les comportements négatifs mais pour cela il faut d’abord écouter, entendre les sentiments et les faits. Ceux qui nous indiquent que les choses vont mal. S’ouvrir au côté obscur de la force. Ecouter cette femme qui vient de perdre son enfant, entendre ce salarié mécontent. Comprendre tel ou tel extrémisme. Et seulement ensuite répondre à cette tristesse, à cet obscurantisme.

Un acte de résilience

 « Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort » disait Nietzsche. Et si les sentiments et comportements négatifs n’étaient ni plus ni moins que des trampolines (voir ce texte  pour comprendre comment avancer grâce à ce qui pique) ? Des éléments non pas à annihiler mais dont il faut se servir pour avancer.  En effet, entendre ce qui ne va pas, entendre la tristesse, la colère c’est aussi reconnaitre ce qui peut et ce qui doit changer. Faire de la place à cette souffrance c’est ainsi se donner la possibilité d’avancer. Faire de la place à ce qui ne va pas est certes désagréable, ce n’est pas positif en tant que tel mais cela devient positif au regard du but. Tel est, à mon sens, la vraie solution. Sortir du positif sentimental, faire ce qui est agréable, ou politiquement correct et passer au positif pragmatique ce qui nous permet d’avancer dans la vie.

 

Faire ce qui tend vers le bien mais ne fait pas forcément du bien

 

Passer d’un positif moral à un positif pragmatique. Faire ce qui amène du bien, non pas en théorie mais en vrai (j’en ai parlé ici dans cette vidéo, entre aller et être bien ). Et dès fois dire que l’on est triste ou en colère cela fait du bien, aussi. Une bonne engueulade est parfois plus salvatrice qu’une anesthésiante parole bienveillante.

 

De cette sorte nous pourrons sortir de cette tyrannie du bonheur « instagramesque » – Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil – et tendre vers cette sagesse antique, veiller à tendre vers le bien.

 

A bientôt,

 

Yannick

Psychologue aux multiples influences je base ma pratique de prise en soin sur la thérapie d'acceptation et d’engagement, la psychologie positive ainsi que les thérapies cognitivo-comportementales. En institution, en cabinet de ville, en formation professionnelle ou encore en tant que Blogueur ma vision de la personne en souffrance est bien celle d'une personne non pas "malade" mais plutôt "coincée": En devenir. C'est ainsi à travers une pratique mêlant psychologie, philosophie, humour et métaphores que je voue mon activité professionnelle à aider la personne à avancer vers ce qui compte pour elle.